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Où les valeurs prennent leurs racines

 

Albrecht Sonntag, Professeur à l’EU-Asia Institute, ESSCA École de Management, Membre du Comité Scientifique de Sport et Citoyenneté, Partenaire du projet FIRE

C’est un drôle de mot, intraduisible en français et pourtant très pertinent, que ce terme anglais de «grassroots». Il combine la référence à la plante la plus modeste qui soit – l’herbe sous nos pieds – avec la notion d’enracinement. Cela n’a l’air de rien, une touffe d’herbe ; et pourtant, c’est solidement ancré dans le sol, et c’est résilient, au point de nous permettre de chausser des crampons et de jouer au football.

Le « grassroots football » porte bien son nom. C’est effectivement là que les valeurs de ce jeu populaire ont leurs racines. C’est une pratique associative dont l’objectif n’est pas de générer des bénéfices, mais de créer du lien social autour d’un projet commun. Et peu importe si ce projet n’est que l’amour du ballon rond.

Ce projet ne fait sens que s’il est inclusif, ouvert à tous, y compris les plus faibles, à ces nouveaux arrivés qui, justement, ont été forcés à se déraciner. Il n’est dès lors guère étonnant que tout au long de ces dernières années, les acteurs de la société civile qui animent le « grassroots football » à travers leur engagement bénévole aient fait preuve d’une grande empathie envers les personnes cherchant asile et refuge en Europe.

Des milliers de clubs et associations à travers le continent ont réagi à l’afflux de réfugiés depuis l’été 2015 notamment. De manière discrète et pragmatique, ils ont noué des contacts avec des centres d’hébergement afin de proposer des activités, de tournois ponctuels à des séances d’entraînement réguliers. Souvent, ces initiatives ont été accompagnées d’autres formes de soutien, comme des cours de langues, de l’aide dans les démarches administratives ou encore des événements festifs visant l’intégration sociale.

Inventaire des besoins

Le projet FIRE a été conçu en 2018 sur un double constat. D’abord celui d’une multitude d’initiatives spontanées mais aussi éparpillées dont il convenait de faire un inventaire plus systématique : un état des lieux des publications sur l’apport potentiel du football dans l’inclusion d’une importante nouvelle population vulnérable, une typologie des pratiques et des actions proposées, une comparaison entre des contextes nationaux bien différents.

Ensuite, celui de barrières et d’obstacles persistants dans la mise en œuvre d’initiatives inclusives, quel que soit l’environnement local ou national. En analysant les observations des partenaires du projet et en s’appuyant sur les conclusions de divers rapports antérieurs, le projet a procédé à une évaluation des besoins les plus pressants exprimés par les acteurs du terrain.

« recenser ce que le football peut apporter »

Ce que le football, sport particulièrement accessible, peut apporter à une population de réfugiés est considérable : interaction sociale avec la société d’accueil, acquisition de compétences linguistiques, début d’adaptation culturelle, mais aussi évasion d’un quotidien fait d’ennui et d’attente, exercice physique et bien-être, regain de confiance en soi dans l’effort collectif…

De l’autre côté, les besoins des bénévoles qui tentent de mettre en œuvre des actions dans ce sens sont nombreux : sentiment d’isolement, difficultés à surmonter des barrières linguistiques et culturelles, nécessité de développer des compétences en managements de projets, manque de financements, même modestes, pour pérenniser les initiatives, pour ne nommer que les obstacles les plus saillants de notre « Top 10 » des besoins.

Dans le cadre du projet FIRE, tous ces constats ont été regroupés dans un rapport « Inventaire » compact, toujours téléchargeable sur le site internet du projet www.footballwithrefugees.eu. C’est aussi sur la base de ce rapport qu’ont été défini les réponses que pouvait y apporter un tel projet.

Encouragement et transmission de compétences

Ce qu’a fini par proposer le projet FIRE, c’est d’abord un message d’encouragement à l’attention de tous les bénévoles de football qui aimeraient bien s’engager en faveur des réfugiés mais qui hésitent devant les difficultés et les questionnements. Ce « Yes, you can ! » est ensuite décliné en une transmission de compétences, de savoir-faire et de conseils qui répondent aux besoins exprimés par les bénévoles de terrain.

Le projet FIRE a donc adopté une approche très pragmatique, focalisée sur un groupe-cible bien identifié, dans l’élaboration de l’outil d’apprentissage qui a pris la forme d’un MOOC complet. L’originalité du projet réside dans sa capacité à mobiliser des expertises différentes qui ne se rencontrent que rarement : l’expérience pratique accumulée de la société civile, la recherche académique ainsi que le savoir-faire pédagogique. Trois mondes distincts qui auraient tout intérêt de collaborer davantage, mais qui sont souvent absorbés par leurs propres préoccupations.

« Expériences de terrain, recherche académique et savoir-faire pédagogique »

Pour un chercheur comme l’auteur de ces lignes, cette collaboration a été particulièrement fertile. Elle a donné accès à un vaste terrain dont les partenaires du projet lui rapportaient les réalités et le vécu. Ce qui lui a permis, en s’associant à l’expertise d’un laboratoire pédagogique, de rendre quelque chose en retour à la société civile au cœur du projet. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de faire fructifier son capital académique de manière aussi utile.

Au-delà de cette utilité, le projet a aussi permis d’avoir un aperçu – certes ponctuel, mais tout à fait représentatif – de l’élan et de l’investissement social formidable de la part de ce qu’on peut appeler la communauté transnationale du « grassroots football ». Il est vrai que le football peut diviser et exclure – pensons seulement au fléau du racisme et des autres discriminations dont il n’arrive pas à se défaire. Mais les « grassroots football » transporte aussi des valeurs sociétales fondamentales dont l’Union européenne se réclame souvent : inclusion sociale pour tous, solidarité humaine, empathie avec ceux qui n’ont pas la chance de vivre dans un État de droit respectueux de l’individu et des libertés fondamentales. Il le fait tous les jours, sur d’innombrables terrains, aux quatre coins du continent.

 

Cet article est issu de la revue n°51, Sport et Réfugiés: conclusions sur projet FIRE



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