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Penser l’héritage : un enjeu et une nécessité

 

Penser l’héritage d’un grand événement sportif est aujourd’hui incontournable pour tout organisateur. Mais quels sont les contours de cette notion ? Comment dépasser les positions convenues et analyser objectivement l’impact positif ou non d’un événement sportif sur son territoire et ses parties prenantes ?

 

Michaël ATTALI

 

Professeur des Universités

Directeur du laboratoire Violences, Innovations, Politiques, Socialisations et Sports (VIPS2)

Le terme héritage sature les débats autour des évènements sportifs depuis plusieurs années. Il s’inscrit dans une conjoncture envisageant à considérer le sport au-delà de ses manifestations compétitives et renvoie aux actions menées par plusieurs institutions (UNESCO, etc.) dans le domaine de la solidarité et du développement par le sport. Commune pour les questions économiques par l’intermédiaire de l’utilisation de la notion d’impact, son utilisation pour les aspects sociaux et culturels est plus récente. Depuis l’obtention de l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024, il est mobilisé en France par plusieurs parties prenantes sans qu’une réflexion de fond soit engagée à l’égard de sa véracité, des perspectives d’opérationnalisation et du sens qu’il peut revêtir.

Pourtant la recherche s’est attelée à étudier cet enjeu. La littérature anglo-saxonne est particulièrement dense et plusieurs travaux menés au sein d’équipes de recherche tel que laboratoire VIPS2 sont en cours sur le sujet.

Pour dépasser les positions convenues et envisager un héritage effectif, plusieurs aspects sont à considérer. Cinq d’entre eux définissent des pistes de réflexion déterminant des formes d’actions autant que des indicateurs d’études.

  • La durée. L’héritage doit être conçu sur une durée minimale de 8 ans. Jamais spontané, il demande à être anticipé par l’intermédiaire de la mise en œuvre de dispositifs ainsi que de conceptions envisageant l’évènement comme un accélérateur d’effets dans plusieurs domaines. En vue de s’assurer non seulement de son effectivité et de sa durabilité, les initiatives engagées avant doivent être poursuivies après son déroulement. Sans cet engagement sur le long terme, parler d’héritage est inadapté car les effets sont réduits ou inexistants.

« Mobiliser au-delà de la sphère sportive »

  • La causalité. Dans la plupart des prises de position, les évènements auraient des effets « positifs ». Or les exemples ne manquent pas d’évènements n’en ayant eu aucun ou ayant eu des effets à l’opposé de ceux espérés. La croyance en des valeurs consubstantielles au sport, qui conduirait à transformer ceux qui y sont exposés, est tenace. La conception d’une stratégie « héritage » est indispensable pour identifier les domaines visés autant que les actions à mener pour créer les conditions de transformation de grande envergure. Par ailleurs, un évènement ne peut pas tout et celui-ci doit être pensé dans son contexte afin d’établir des configurations adéquates.
  • La variété. Loin d’être homogène, l’héritage doit donc être envisagé de manière multidimensionnelle. Les angles d’analyse des effets des grands événements sportifs sont multiples en prenant en compte les dimensions sociale, culturelle, psychologique, sportive, symbolique, politique, sanitaire ou environnementale. L’attention portée à l’augmentation du nombre de pratiquants est par exemple une constante. Rares ont pourtant été les évènements ayant conduit à leur accroissement sur le long terme. Ce volet conduit à s’interroger sur les publics concernés et appelle entre autres à une segmentation des actions. Il en va de même des aspects liés à l’aménagement, à la cohésion sociale ou au patrimoine.
  • Mobiliser. La croyance en des effets magiques liés aux évènements conduit souvent à réduire les actions à leurs seuls protagonistes. Cette démarche tend à l’isoler de son environnement et donc à réduire son incidence. La mobilisation au-delà de la sphère sportive (organisateurs, association(s), fédération(s)) est une condition de la réalisation d’un héritage. Le monde de l’éducation, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux ainsi que l’ensemble des acteurs susceptibles d’utiliser l’évènement pour en faire un vecteur de transformation sont à considérer non seulement comme des partenaires mais surtout comme des acteurs à part entière.
  • Évaluer, analyser, étudier, accompagner. La mesure quantitative constitue l’alpha et l’oméga des débats autour de l’héritage. Cette préoccupation illustre une forme d’incompréhension de ce qu’il peut revêtir et des processus qui le structurent. En effet, l’héritage social ne correspond pas à un produit fini qu’il serait possible de quantifier. Il se construit par l’intermédiaire d’une pluralité d’actions dont il est indispensable d’analyser les retombées au cours d’étapes intermédiaires, de suivre les effets auprès d’une diversité de publics dont les sensibilités sont plurielles, d’identifier les inflexions ou l’absence d’incidences dans une pluralité de situations. Moins rassurant qu’une mesure stricto sensu, cette démarche n’a pas pour objet de vendre un héritage mais bien de le concevoir et de le mettre en œuvre. Celui-ci doit ainsi faire l’objet d’un accompagnement rigoureux afin de façonner un contenu qui tout en étant mouvant est envisageable à condition d’être lucide. Une évaluation laisserait à penser que l’héritage est un produit fini alors même que toutes les recherches dans ce domaine soulignent qu’il correspond à un processus. Ce choix distingue l’affichage de l’effectivité.

« Repenser les effets des évènements sportifs afin d’en faire des leviers de transformation »

En définitive, l’héritage remet en question l’appréhension comme la conception du rôle des évènements sportifs. Longtemps pensés comme un révélateur de la puissance nationale ou comme le support de la mise en scène d’exploits, ils ont été conçus autour de la réussite de leur déroulement. Extrêmement rares ont été ceux ayant intégré des effets sur leur environnement. Lorsque l’héritage a été mobilisé, leur légitimité en a été la cause essentielle.

Si certains organisateurs ont pris la mesure de leur responsabilité sociale, cette démarche n’est pas systématique. C’est probablement l’un des défis des prochaines années que de repenser les effets des évènements sportifs afin d’en faire des leviers de transformation qui dépassent le temps de leur déroulement. Il parait à ce titre indispensable d’inclure l’héritage dans leurs organisations et de l’accompagner afin de donner un nouveau sens à ces évènements. Gageons que le changement est en cours et que les chercheurs y seront conviés.

www.vips2.fr

www.univ-rennes2.fr



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