« Affaire Mediapro, crise sanitaire : face à une situation complexe, il faut redonner de l’espoir aux acteurs du sport »

 

Propos recueillis par Sylvain LANDA

Depuis trois ans, le groupe d’études sur l’économie du sport de l’Assemblée Nationale contribue à ancrer dans le débat public les questions liées au sport dans toute sa diversité (sport professionnel, sport amateur, loisirs sportifs marchands). Son co-président, le député Cédric Roussel (LREM, Alpes-Maritimes) revient pour Sport et Citoyenneté sur les sources d’inquiétudes actuelles (affaire Mediapro, reconfinement et arrêt des activités sportives, projet de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale 2021) et met en lumière la façon dont le pouvoir politique peut apporter des réponses adaptées à l’urgence de la situation.

 

Cédric Roussel est député LREM de la 3e circonscription des Alpes-Maritimes.

Entrepreneur, il a fondé en 2007 son propre cabinet de gestion de patrimoine. Il est élu député en 2017 et s’engage depuis sur les sujets liés à l’entreprise, à l’emploi et au sport. Il co-préside avec Pierre-Yves Bournazel le groupe d’études « Economie du sport ». Il est également membre du Conseil d’administration du Think tank Sport et Citoyenneté.

 

« L’affaire Mediapro » fait la une de la presse depuis plusieurs semaines. Le défaut de paiement du nouveau diffuseur du championnat français de football menace l’équilibre économique des clubs professionnels mais aussi l’ensemble du sport français. Comment votre groupe d’études intervient-il sur ce dossier ?

CR : L’affaire « Mediapro » met en lumière l’un des principes fondamentaux du modèle sportif français, la solidarité financière entre le sport professionnel et le sport amateur. Depuis vingt ans, la « taxe Buffet » prévoit en effet le prélèvement de 5 % des droits TV au profit du budget de l’Agence Nationale du Sport, qui contribue notamment au développement des pratiques sportives partout en France. Cette taxe illustre le lien d’interdépendance qui existe entre le sport professionnel et le sport amateur, l’un se nourrissant de l’autre et vice-versa. Il est important de rappeler ce principe et de gommer la distanciation qui existe parfois entre les deux secteurs, car cela nuit aux intérêts du sport de manière générale.

On comprend donc que quand Mediapro ne veut pas payer son échéance d’octobre, cela met la Ligue de Football Professionnel (LFP) et les clubs professionnels français dans une position difficilement tenable, qui fragilise, par ricochet, l’ensemble du secteur sportif. Un secteur par ailleurs fortement ébranlé par les effets de la crise sanitaire.

Dans le cadre de notre groupe d’études, nous avons donc proposé à chaque partie prenante de venir s’exprimer sur le sujet, dans une démarche de concertation et de compréhension des enjeux. L’idée n’est pas d’ajouter de la tension à une situation complexe, mais de permettre à chacun de s’exprimer et à la représentation nationale de se faire un avis éclairé. Nous avons mené une série d’auditions, en invitant la LFP, Première Ligue (le syndicat des clubs professionnels), Canal+, beIN Sport ainsi que plusieurs personnalités. A l’inverse, Mediapro a décliné notre invitation.

« Il est urgent de faire évoluer le modèle économique des clubs sportifs »

Ces consultations doivent nous permettre de bien comprendre comment nous en sommes arrivés là, mais aussi d’identifier des points d’amélioration, législatifs ou non, pour l’avenir. Cette affaire souligne en effet l’urgence de réfléchir au modèle économique des clubs professionnels, aujourd’hui très dépendants de ressources extérieures. Ce qui nous rend inquiets, c’est la casse sociale que pourrait créer une dévaluation des droits TV. Les clubs sportifs professionnels jouent un rôle essentiel sur le plan économique, social mais aussi dans l’animation des territoires. Ils sont déjà très éprouvés par la crise sanitaire, et cette affaire peut avoir des conséquences désastreuses. Nous prenons ce sujet très au sérieux, car nous avons conscience que le sport se situe au carrefour de plusieurs politiques publiques et qu’il transmet un certain nombre de valeurs que nous défendons par ailleurs, comme l’inclusion, l’égalité et la tolérance.

 

Cette affaire s’ajoute à une situation sanitaire complexe. En tant qu’élu actif sur les questions de sport, comment fait-on face à ces nombreux défis ?

CR : La situation n’est pas simple. Nous devons nous adapter en permanence à un virus qui désorganise notre pays, qui provoque des restrictions de libertés et dont l’impact économique et social est important.

Le gouvernement a annoncé un paquet de mesures de soutien, qui ont fait l’objet de peu de critiques de la part des acteurs du sport, notamment du secteur de l’entreprise[1]. Avec la mise en place rapide du chômage partiel et les exonérations de charges, l’État a montré son soutien à ceux qui en avaient le plus besoin.

Pour autant, notre défi est de faire en sorte que les acteurs sportifs et le secteur privé marchand aient bien accès à ces différentes mesures. Je suis satisfait par exemple que les acteurs sportifs de nature soient inclus dans le Plan Tourisme récemment adopté.

« PLF 2021 : un budget « Sport » qui n’a jamais été aussi haut »

Face à une situation complexe, il nous faut redonner de l’espoir aux entrepreneurs, aux dirigeants d’associations. Leur apporter de la sérénité financière. J’ai porté depuis plusieurs semaines maintenant l’idée d’un crédit d’impôt pour les bailleurs qui accepteraient un abandon de loyer sur la fin de l’année au profit d’occupants de locaux professionnels qui ont été contraints de fermer leur établissement. Cela concerne par exemple les salles de sport privées. Je me réjouis de l’adoption de cette mesure. Je soutiens également une exonération des cotisations et des charges à titre exceptionnelles, qui viendrait supporter la trésorerie des entreprises, aujourd’hui très affectée. Il s’agit de prévenir les risques de faillite, à très court terme. Pour le sport professionnel, nous travaillons sur une compensation de la jauge en raison des matchs à huis clos imposés par la situation sanitaire. Cela nécessite une clarification au niveau européen, et nous avons l’espoir que cela se décante très vite.

 

En parallèle, le projet de loi de finances 2021 est en discussion à l’Assemblée nationale. Comment jugez-vous les orientations prévues pour l’année prochaine ?

CR : Je me réjouis de l’augmentation du budget « Sport » pour l’année prochaine, qui sera le budget le plus important jamais voté depuis le début du quinquennat.

Nous avons notamment réussi à faire adopter un amendement symbolique visant à déplafonner budgétairement la « Taxe Buffet ». Désormais, la totalité du produit de cette taxe, soit 74 millions d’euros (N.B : 40 millions d’euros dans le PLF 2020), sera affectée au budget de l’Agence Nationale du Sport.

Le message que je porte est de dire que l’ensemble des taxes affectées (dont la « Taxe Buffet ») doivent financer davantage le sport. Aujourd’hui, une partie seulement de ces taxes financent le sport. Le reliquat est quant à lui injecté dans le budget général. Si on veut faire face à la situation que l’on connaît, mais aussi faire de la France une nation plus sportive d’ici 2024, il faut y consacrer des moyens. Cet amendement est un premier pas, mais il reste du chemin à faire sur d’autres taxes, comme celle sur les paris sportifs. De manière générale, nous pouvons aussi mobiliser d’autres crédits au profit du sport, notamment sur les questions de sport-santé ou de promotion des activités physiques et sportives en milieu professionnel. Sur ce dernier volet, nous pouvons agir en levant certains freins législatifs et réglementaires et en donnant plus de flexibilité aux chefs d’entreprise. C’est l’objet d’un amendement que j’ai défendu.

 

Mobiliser d’autres crédits implique aussi de disposer de données objectives sur la plus-value qu’apporte le sport dans la conduite des politiques publiques. Ces éléments sont-ils également discutés à l’Assemblée Nationale ?

CR : J’avais déposé un amendement en ce sens l’an dernier. Vous savez combien ce sujet me tient à cœur, et je sais que nous partageons cette vision. La ministre déléguée aux Sports a confié une mission à l’Observatoire de l’économie du sport, avec l’ambition d’élargir le champ de ses analyses aux sciences sociales.

Cette démarche a un peu été mise en sommeil en raison de la situation sanitaire, mais je suis convaincu, plus que jamais, de la pertinence d’avancer sur ces sujets. Nous disposerons alors de données objectives sur la plus-value sociale qu’apportent les activités physiques et sportives. C’est un sujet qui peut amener des effets positifs à moyen et long terme pour notre société.

 

 

[1] NDLR : depuis la réalisation de cette interview, une rencontre entre le Président de la République et plusieurs représentants du secteur sportif a été organisée et plusieurs dispositifs de soutien ont été annoncés. Retrouvez l’ensemble de ces mesures sous ce lien





Sport et citoyenneté