« C’est maintenant que l’après 2024 se construit »

 

Le 5 juin dernier, l’Université de Lausanne et Think Sport ont organisé « SPORT FUTURE », un débat sur l’avenir des Jeux Olympiques, en présence de Thomas Bach, président du Comité International Olympique (CIO). Jean-Loup Chappelet, Professeur honoraire UNIL-IDHEAP et membre du Comité Scientifique de notre Think tank Sport et Citoyenneté, assurait la modération des échanges avec Emmanuel Bayle, Professeur UNIL-ISSUL

 

Pourquoi réfléchir à l’avenir des Jeux Olympiques aujourd’hui ?

JLC : À la suite des Jeux de Sotchi et de Rio, de nombreuses questions ont été soulevées quant à l’accueil des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). Beaucoup de villes ont renoncé à présenter leur candidature à l’issue de référendums négatifs. Ce fut le cas en Suisse pour la candidature de Sion 2026. Le CIO a décidé d’agir, car l’époque des nombreuses candidatures est révolue. Il faut désormais concevoir les JOP différemment, en diminuant la taille de l’événement et en introduisant des disciplines plus attractives pour les jeunes. Les JOP sont un produit qui fonctionne, mais rien ne garantit que ce soit le cas dans les décennies à venir. Réfléchir à l’avenir des Jeux est donc essentiel.

 

De quand date cette réflexion ?

JLC : Je pense que la présidence Rogge avait diagnostiqué les problèmes, mais n’a pas forcément trouvé de solutions. Au niveau du programme olympique par exemple, seuls deux sports ont été introduits : le golf et le rugby à 7. Ce n’était pas assez rapide par rapport à l’évolution du sport et de la société. Thomas Bach, qui a pris ses fonctions en 2013, a très vite mis sur pied une direction stratégique chargée d’établir une feuille de route : l’Agenda olympique 2020. Un an après, les 40 recommandations de cette feuille de route étaient adoptées par les membres du CIO. L’objectif est de faciliter la mise en œuvre des JOP, de réduire leurs coûts d’organisation et donc de les rendre plus accessibles. Ces dernières années, le nombre de candidatures a diminué. La principale raison est le coût de l’incertitude (il n’y a par définition qu’une seule ville retenue pour accueillir les JOP) et la difficulté même d’organiser les Jeux du fait de leur taille gigantesque. Paris et Los Angeles ont été les deux premières villes à candidater aux JOP en suivant les recommandations de l’Agenda 2020. On s’aperçoit déjà que les projets changent de dimension. Il est intéressant de suivre les processus en cours (Stockholm-Åre et Milan/Cortina sont candidates pour accueillir les JOP d’hiver 2026) de ce point de vue.

 

Pensez-vous que les mesures prises vont dans la bonne direction ?

JLC : Je pense que le CIO est dans le vrai. Thomas Bach a centré sa présentation lors de SPORT FUTURE sur l’agenda 2020 et les différentes mesures qui avaient été prises pour rétablir la crédibilité et la durabilité des JOP et rajeunir le programme. Au niveau des candidatures, un certain nombre de réformes importantes ont déjà été adoptées, et d’autres pourraient suivre. Pour les JOP d’hiver 2030 et ceux d’été 2032, le CIO a mis sur pied un groupe de travail afin de réfléchir à l’idée de gérer différemment les candidatures. Il serait possible que le CIO procède par invitation, c’est-à-dire en identifiant parmi les villes intéressées (Sapporo et Salt Lake City en l’occurrence pour 2030) celle qui serait la plus à même de remplir les conditions pour accueillir l’événement, et ceci en fonction de paramètres techniques et/ou géopolitiques. L’objectif est de réduire ce coût de l’incertitude que j’évoquais par ailleurs, et les candidatures spontanées qui coûtent assez cher.

 

La durabilité et l’impact/héritage sont-ils deux marqueurs essentiels pour l’avenir des Jeux ?

JLC : En ce qui concerne la durabilité, incontestablement. L’héritage est une notion plus difficile à cerner. D’ailleurs, l’administration du CIO a récemment changé le nom de sa direction « Marque Durabilité Héritage » en supprimant ce dernier. L’héritage reste important pour motiver des candidatures, mais il peut aussi se traduire négativement (dettes, infrastructures inutilisées, etc.). A l’inverse, la durabilité ne se discute plus. C’est une notion essentielle pour le CIO, qui a adopté en 2016 une stratégie Durabilité ambitieuse et qui inaugure ce jour (23 juin) son nouveau siège, la Maison olympique, dont la conception et la construction ont été réalisées selon des normes de durabilité reconnues à l’échelon international. Plusieurs prix et labels ont été obtenus.

En ce qui concerne la durabilité des Jeux en tant que tels, le CIO n’est pas directement responsable mais il incite les comités d’organisation à faire de ce sujet l’un des axes majeurs de leurs projets.

 

Comment jugez-vous le projet de Paris 2024 jusqu’à maintenant ?

JLC : Le projet semble lancé sur les bons rails, mais il s’agit pour le moment de la partie « facile ». On a classiquement 7 ans pour organiser les Jeux. Les trois premières années sont celles où on réfléchit, où on pose les fondations, où on affine sa vision. On a beaucoup d’ambitions. Les quatre années suivantes sont différentes, car c’est à ce moment-là qu’on agit, que les dépenses arrivent et que les délais se raccourcissent. C’est la différence entre la livraison et l’héritage des Jeux. À un moment donné, la réflexion ne suffira plus, il faudra entrer dans la réalisation. Tout est alors une question d’objectifs. Plus on se rapprochera de la date d’ouverture des Jeux et plus le COJO, l’État et les collectivités publiques devront être dans l’objectif de livraison. L’héritage passera au second plan. C’est donc maintenant que l’après des JOP se construit. Et pour cela, il faut que les engagements et les financements portent sur des objectifs précis. C’est bien de dire que les JOP permettront à plus de gens de faire du sport, mais ça ne suffit pas. Il faut des objectifs plus fins et surtout financés sur le moyen et long terme.

 

Les objectifs proposés par Paris 2024 vous semblent-ils trop larges à l’heure actuelle pour être totalement efficaces ?

JLC : Le plan « Héritage » de Paris n’est pas encore arrêté. Celui de Pékin 2022 a été publié il y a deux ans, et il est peu précis. Mais tout cela est normal car nous sommes dans une phase de transition. Les questions d’héritage n’étaient pas aussi prégnantes autrefois. Le CIO parle d’une vision générale à avoir, et d’une traduction précise à structurer. La définition d’objectifs spécifiques, mesurables, accessibles, réalistes et temporellement définis (méthode SMART) me semble indispensable pour faciliter leur mesure et juger de l’efficacité des actions conduites pour les atteindre.





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