Colloque « Le Sport, esprit de l’Humanité »

Intervention de Laurent Thieule, président du Think tank Sport et Citoyenneté

Tout d’abord, je tiens à saluer l’initiative du Panathlon Wallonie-Bruxelles: pertinente, d’avant-garde et courageuse et à les remercier de m’avoir inviter à faire une intervention sur le thème « sport et les religions à travers l’Europe »

Deux histoires ont marqué ma vie à un demi-siècle d’intervalle:

Durant mes vertes années, le curé du village faisait également office d’entraineur de football et nous apprenait les valeurs humanistes prônées par le sport

A travers mon club de football de Kraainem, nous accueillons et intégrons par le sport de jeunes réfugiés demandeurs d’asile de confessions et d’origines très différentes.

 

J’ai tiré plusieurs enseignements de ces expériences :

Tout d’abord que le monde peut et doit changer mais qu’il faut y préserver les valeurs de tolérance, d’humanisme et d’acceptation de l’autre et de nos différences ; que la Belgique, mon pays d’adoption, est un pays formidablement accueillant et tolérant, un pays qui, dans sa grande majorité accepte de fait sa multi-culturalité et que cela autorise sans doute une forme de vivre ensemble dont nous faisons l’expérience à l’échelle de notre petit club, mais que je constate aussi à l’échelle de la Belgique.

 

Il y a dix ans de cela, j’ai pris un autre engagement citoyen, celui de créer, depuis Bruxelles, le Think Tank européen Sport et Citoyenneté, que je préside bénévolement depuis lors avec autour de moi une équipe de 10 permanents engagés.

Sport et Citoyenneté est devenu le seul Think tank en Europe dont l’objet social est l’analyse des politiques sportives et l’étude de l’impact sociétal du sport.

Sport et Citoyenneté est un Think tank indépendant qui s’appuie sur dix années d’expertise et qui est régulièrement consulté par les institutions internationales et européennes, les États Membres, le mouvement sportif et la société civile qui le reconnaissent comme un interlocuteur privilégié dans ce domaine.

Sport et Citoyenneté produit une réflexion sur les enjeux socio-politiques du sport, en réunissant plus de 300 experts au sein d’un Comité Scientifique et de réseaux thématiques.

L’objectif de Sport et Citoyenneté est de participer au processus de construction des politiques publiques, nationales et européennes, du sport, de la santé, de l’éducation, de la citoyenneté, du développement durable, de l’économie et de la cohésion sociale.

 

Mais venons-en au sujet d’aujourd’hui « Le sport, l’esprit de l’humanité » et au thème « Le sport et les religions » que vous m’avez demandé d’aborder.

Je vais vous parler un peu d’histoire et de philosophie, mais comme Sport et Citoyenneté est un acteur engagé, je vais m’engager aussi sur le terrain.

L’origine des Jeux Olympiques est légendaire et profondément marquée par la religion. Ils se déroulaient dans un espace sacré (emplacement du sanctuaire de Zeus) durant une période sacrée (avec décret d’une trêve) en l’honneur des dieux (Zeus, Apollon et Poséidon). Les athlètes y participant étaient également considérés comme des demi-dieux (puis-je me risquer à faire ici un parallélisme avec certains sportifs aujourd’hui : Cristiano Ronaldo a bien une statue érigée en son honneur dans sa ville natale, Maradona ne s’est-il pas lui-même divinisé comme étant la « main de Dieu » )

Dans l’histoire de nos sociétés, le sport fut parfois, on pourra le regretter, un véhicule idéologique: culte de la force, héroïsation de l’athlète (les deux couronnes ; la couleur bronze doré de l’athlète ; retour du paganisme ; la position du bras de l’athlète : victoire et salut nazi aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936).

Néanmoins, si le sport s’est parfois vu instrumentalisé à des effets néfastes et sombres, il est indéniable qu’il a un rôle important à jouer dans nos sociétés actuelles.

Nous pouvons et devons considérer que le sport est un levier pour la compréhension et le respect de l’adversaire et même de tout un chacun, nonobstant ses origines, son sexe ou sa religion.

Dans le langage courant, le sport est souvent cité comme une religion. Le football est une religion universelle, le rugby une religion dans le Sud-Ouest de la France, le demi-fond une religion au Kenya, le cricket en Inde…

Il me semble intéressant de faire la remarque suivante : dans la religion comme dans le sport, il y a la notion de rites. Les deux sont semblablement structurés. Les sports ont parfois emprunté à différentes religions des symboles et des gestes.

Pierre de Coubertin s’est fortement inspiré des religions grecques pour inspirer les Jeux olympiques modernes. Par ailleurs, nous comparons souvent les Jeux olympiques à une grande messe avec ses rituels. Il y a un niveau formel où il y a des similitudes avec le monde religieux. Nous retrouvons également, dans l’Ancien Testament en particulier, mais également dans le Nouveau, des métaphores qui font référence au sport.

Il existe une autre similitude entre le sport et la religion : le sport et la religion se pratiquent. Pratiquer le sport se dit aussi bien que pratiquer la religion

Pour se pratiquer, la religion nécessite l’existence d’un lieu dédié (un temple, une mosquée, une église…) et s’exerce par la parole et des gestes consacrés ; si l’on pousse cette image de sport comme religion, on ne peut que constater certaines similarités. Il se pratique dans un lieu dédié (stade) et ce peu importe le continent sur lequel il est pratiqué et en son sein s’élèvent des chants, des invocations, des olas.

 

Le sport spectacle serait-il en quelque sorte une religion de substitution ?

Cette image sport/religion peut être également vu à travers le prisme du haka néozélandais qui, avant de devenir ce que l’on connaît au rugby, n’était autre que la danse rituelle des insulaires du Pacifique Sud interprétée à l’occasion de cérémonies, de fêtes de bienvenue ou avant de partir à la guerre.

Ajoutons à cela, la déification dont les sportifs font parfois l’objet.

Cette image n’est pas anodine ; les sportifs ont toujours, depuis l’Antiquité, été assimilé à des dieux ; s’ils l’emportaient, c’est parce que les dieux le désiraient, faisant ainsi d’eux des demi-dieux.

Dès lors comment ne pas rapprocher sport et religion et à défendre ou du moins développer cette idée selon laquelle le sport et la religion peuvent se rejoindre et se mêler.

Revenons alors à Pierre de Coubertin – qui n’a jamais caché que l’Olympisme était avant tout une religion, c’est-à-dire une « adhésion à un idéal de vie supérieure, d’aspiration au perfectionnement ».

Lui et ses successeurs à la tête du Comité International Olympique ont certes créé une nouvelle religion sur la base d’éléments – croyances, symboles, termes, rites, etc. – empruntés aux religions gréco-romaine, judéo-chrétienne, germano-scandinave – peut-être aussi, au fil du temps, à d’autres moins occidentales –, en les réorganisant, les réinterprétant, les adaptant et les complétant en fonction du contexte et de l’objectif propre des Jeux. Mais ils ont en même temps créé un nouveau sport, totalement différent de tout ce qui s’était fait auparavant.

Cela dit l’imbrication du sport et de la religion reste parfois fragile. On peut se souvenir de cet incident lors du combat entre un judoka égyptien qui a refusé de serrer la main à son adversaire israélien. Ou alors, on peut choisir de se remémorer cette image qui a fait le tour du monde entre les volleyeuses allemandes et égyptiennes pour son symbole d’unité dans ces derniers Jeux olympiques, image forte démontrant que le sport et la religion peuvent se pratiquer nonobstant la religion de chacun et chacune.

 

Après ces quelques considérations historiques et symboliques, j’aimerai poursuivre et en venir au terrain de jeu social.

Cher Amis du Panathlon, il vous revient le grand mérite d’avoir pris l’initiative de ce Colloque.

Il est ici question, comme je l’ai dit, de mettre en avant une idée ; une idée selon laquelle le sport et la religion (toutes religions confondues) peuvent se rejoindre et ne former qu’un par l’apprentissage et le respect de valeurs communes.

C’est pourquoi les clubs, les structures sportives et lieux de pratique du sport doivent rester ouverts à tous et à toutes quelles que soient les origines sociales, ethniques, confessionnelles.

Le sport doit être un élément majeur de l’inclusion sociale et de l’intégration de minorités, un élément clé du parcours civique que demain en Belgique, en France comme ailleurs en Europe, tout migrant devra se voir proposer pour réussir l’accomplissement de sa citoyenneté.

Mais les dirigeants sportifs que nous sommes ne pourront rien sans la volonté des responsables politiques de tous niveaux, européens, nationaux régionaux ou locaux qui devront concevoir des sociétés et des villes inclusives.

Je citais les Jeux Olympiques. Ceux que Paris accueillera en 2024 ou 2028 recouvrent un enjeu sociétal durable, c’est pourquoi avec Sport et Citoyenneté avons-nous proposé qu’à cette occasion soit mis en place un vaste projet de « quartiers olympiques  » où seraient recrutés et formés les 30 000 volontaires de ces JO.

A l’échelle d’un territoire, la Région parisienne – mais qui pourrait être n’importe quel territoire urbain de beaucoup de villes d’Europe, à commencer par Bruxelles – vit toute une population de jeunes issus de l’immigration récente ou datant de plusieurs générations qui, trop souvent, a été celle des rendez-vous manqués. Ces jeunes sont isolés dans leurs quartiers, coupés du marché de l’emploi, tentés par le repli communautaire et en quête d’identité. Ces jeunes doivent être reconnectés à la vie citoyenne, au monde du travail, pour s’y sentir utiles et intégrés.

La préparation de Jeux Olympiques est une opportunité unique,

Mais la vie sportive dans chaque territoire européen, avec ses clubs, ses événements, ses infrastructures sont tout autant des plateformes pouvant faciliter un processus d’intégration de ces jeunes générations.

Des jeunes générations à qui il faut offrir un partage de valeurs qui sont celles du sport ou de l’idéal olympique, idéal de participation et de compétition, mais aussi de tolérance et de partage.

Allez, entre nous, on va se dire les choses : nous butons depuis trop longtemps sur le rejet par ces jeunes d’un langage et d’une narrative dans lesquels ils ne se retrouvent pas.

Empruntons alors une autre voie de dialogue autour du partage des valeurs du sport et la pratique du sport qui peuvent plus facilement les réconcilier à leur environnement social.

Ce serait une manière d’enclencher un processus d’inclusion sociale.

Ce serait une bonne manière de rendre à ces jeunes leur dignité et l’envie de se présenter au départ d’une compétition d’athlétisme ou d’un match de foot, et d’en faire, quand on le peut, des dirigeants de demain de clubs ou du mouvement sportif qui ne soient pas comme moi un homme, blanc, cravaté et sexagénaire ! Comme 80% des dirigeants actuels.

 

Chers Amis,

Tout comme la religion ou les lois qui régissent nos règles de vivre-ensemble, le sport influence notre quotidien et peut plus encore contribuer à la cohésion et à la mixité sociale, à l’éducation, à la lutte contre le racisme, mais aussi à la recherche de l’excellence et de la performance, à l’éclosion de talents, au développement économique et à la création de valeur.

Et en tout cas un moyen de mieux se comprendre et s’accepter les uns les autres.





Sport et citoyenneté