Contre la participation des athlètes russes aux JOP de Paris 2024

Par Colin MIEGE, président du comité scientifique de Sport et Citoyenneté

02/02/2023

 

Avec une remarquable persévérance, le président du Comité international olympique Thomas Bach explore depuis des semaines la possibilité d’admettre les athlètes russes aux JOP de Paris 2024, alors même qu’ils ont été écartés de la plupart des manifestations sportives internationales depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022. En affirmant dans sa déclaration publiée le 25 janvier dernier « qu’aucun athlète ne devrait être interdit de compétition sur la seule base de son passeport », le CIO ne cache plus son intention de réintégrer les athlètes russes sur la scène sportive internationale. Un pas de plus a été franchi le 28 mars dernier, avec la publication d’une déclaration recommandant l’admission des sportifs russes et biélorusses dans compétitions internationales, sous bannière neutre et « à titre individuel ». Toutefois leur participation aux JOP de Paris 2024 n’est pas encore officiellement autorisée, une décision devant être prise « au moment approprié ».

Comment expliquer une telle insistance pour un projet qui s’oppose si manifestement à la poursuite du soutien politique, humanitaire et militaire accordé à l’Ukraine par de nombreux pays ? Qui sera le décideur final, et quelle seraient les conséquence d’une éventuelle admission ?

Pourquoi le CIO souhaite-il si ardemment un retour des athlètes russes aux prochains JOP ?

Tout en se présentant comme une instance apolitique, le CIO est guidé par des intérêts géostratégiques bien réels. Hormis la crainte que l’absence des athlètes russes n’amoindrisse le niveau sportif dans certaines disciplines, le président du CIO redoute surtout que la Russie, avec l’appui de la Chine, de l’Inde et d’autres pays (« le grand Sud »), ne soit tentée d’organiser des épreuves parallèles qui viendraient concurrencer celles que supervise son institution. Dans ce contexte, le Conseil olympique d’Asie[1] a proposé d’admettre les athlètes russes et biélorusses dans les compétitions du continent[2], ce qui leur permettrait de se qualifier pour les JOP de 2024. Cette proposition vient d’être « accueillie favorablement » par le CIO[3], qui espère ainsi conjurer toute sécession qui pourrait menacer l’universalisme qui est l’une des raisons d’être de l’olympisme. L’admission des athlètes russes aux Jeux serait possible en tant « qu’athlètes neutres » sans prétendre représenter leur pays, à titre individuel, et à condition de ne pas avoir « soutenu activement la guerre en Ukraine ». Étrange contorsion au regard du credo olympique qui proscrit l’expression de toute opinion politique, dissidente ou non… De surcroît, la mise en œuvre de ces critères de sélection semble pour le moins problématique[4].

Quelles seraient les conséquences d’une admission des athlètes russes aux JOP 2024 ?

● Une levée des sanctions sportives opposées à la Russie par la quasi totalité du mouvement sportif international ne peut être perçue que comme une décision incohérente au regard du soutien militaire, financier, diplomatique et moral accordé par les pays occidentaux à l’Ukraine, afin de lui permettre de recouvrer son intégrité territoriale.

● Elle serait interprétée par le régime de Poutine comme une formidable aubaine, qui aurait pour effet de légitimer indirectement son offensive contre l’Ukraine, et de passer l’éponge sur les méthodes utilisées. Les athlètes russes, même sous bannière neutre, seront considérés le cas échéant à leur corps défendant comme les ambassadeurs leur pays. Leur admission aux JO conférerait dès lors à ce régime dictatorial la respectabilité qu’il recherche en vain sur la scène internationale[5].

 Le CIO se déconsidérerait gravement en autorisant l’admission des athlètes russes, car sous prétexte de prévenir une scission du mouvement sportif international, sa décision contreviendrait à toutes les valeurs humanistes qu’il est censé incarner et promouvoir. Il faut relever que le Conseil olympique d’Asie à l’origine de la proposition regroupe une large majorité de pays à régime autoritaire, dans lesquels les principes de base de la démocratie ne sont pas respectés[6].

Qui sera le décideur final ?

La Charte olympique précise les critères de participation aux JO, en indiquant tout d’abord que chaque comité national olympique, qui a compétence exclusive pour représenter son pays aux Jeux, « a l’obligation de participer aux Jeux de l’Olympiade en y envoyant des athlètes » (règle 27). Cependant, « Toute inscription est soumise à l’approbation du CIO, qui peut à sa discrétion (…) refuser une inscription sans indication de motifs. Personne ne peut se prévaloir du droit de participer aux Jeux Olympiques » (règle 44). Formellement, le CIO est donc le seul décideur quant à l’admission des athlètes russes aux prochains JOP, même s’il prétend dans sa déclaration précitée que « chaque fédération internationale est la seule autorité pouvant régir les compétions internationales dans son sport »[7].

Le CIO invoque aussi la caution de l’ONU, qui a appelé à « respecter le caractère unificateur et conciliateur des grandes manifestations sportives internationales »[8].

La Charte minore le rôle des gouvernements et des tractations inter étatiques. On a vu le président Zelensky exprimer son refus légitime à la participation des athlètes russes aux JOP de Paris, et demander au président Macron de s’y opposer en tant que représentant du pays hôte, tout en menaçant de boycotter l’évènement dans le cas contraire[9]. D’autres pays européens ont d’ores et déjà exprimé leur ferme opposition à toute perspective de réintégration de la Russie, tant que l’agression perdure.

En conclusion, le CIO ne saurait poursuivre sa propre logique et ses intérêts spécifiques en faisant abstraction les données géopolitiques, et notamment de la terrible réalité d’une guerre par procuration entre la Russie et une partie du monde occidental. Sa recommandation  initiale d’interdire la participation des athlètes russes aux compétions internationales émise après l’invasion de l’Ukraine doit être maintenue tant que l’agression russe se perpétue et qu’aucun signe de trêve effective ou de solution négociée n’est perceptible.


[1] Le Conseil olympique d’Asie (COA), basé au Koweit, regroupe actuellement 45 comités nationaux olympiques, dont celui de la Chine et de l’Inde. Il est donc le plus important en terme de population.

[2]Notamment les Jeux asiatiques.

[3]Déclaration du comité exécutif du CIO précitée du 25 janvier 2025, point 3.g.

[4]Comme le souligne la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, « aujourd’hui, il n’y a pas de solution pour un régime de neutralité viable s’agissant des sports d’équipe (…) ».

[5]On peut recommander l’ouvrage de Lukas Aubin « La sportoklatura  sous Vladimir Poutine » pour saisir l’ampleur de la politisation du sport sous le régime russe actuel (éd. Bréal, mars 2022.

[6]A l’exception notable du Japon

[7] Le 10 mars, la Fédération internationale d’escrime a devancé le CIO en validant le retour des Russes et Biélorusses dans les compétitions de qualification qu’elle organise en vue des prochains JO. Ils pourront y participer à titre individuel mais aussi par équipes.

[8]Résolution de l’AG des Nations Unies « Le sport facteur de développement durable », A/77/L.28.

[9]En tant que représentant du pays hôte garant de la bonne organisation matérielle des Jeux et de la sécurité des délégations, l’avis du président Macron a évidemment son importance.

 

Pour aller plus loin :

Quel avenir pour la gouvernance du mouvement olympique et sportif international face à une crise de légitimité ? Par Emmanuel Bayle, professeur en gestion du sport à l’université de Lausanne et membre du Comité Scientifique Sport et Citoyenneté

 





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