Déconfiner le sport ? Oui, pour un mieux !

 

La crise sanitaire aura de multiples impacts sur le sport. Chez Sport et Citoyenneté, nous pensons qu’elle peut être salutaire, si elle permet d’accélérer un certain nombre d’évolutions. Par le biais de tribunes d’experts, nous souhaitons recommander, aux pouvoirs publics, des mesures opérationnelles destinées à lancer le sport de l’après-crise. Nous en avions déjà recensé un certain nombre dans ce livret de propositions pour la loi Sport et Société il y a quelques mois. Aujourd’hui, alors que la politique européenne du sport ne cesse de se développer, nous renforçons cet engagement en Europe et localement.

 

Tribune du Pr. Thierry Zintz, Chaire Henri de Baillet Latour & Jacques Rogge en Management des Organisations Sportives – Louvain Research Institute in Management, Université catholique de Louvain. Membre du Conseil d’administration du Think tank Sport et Citoyenneté. Article publié précédemment dans Le Soir

 

 

La crise du COVID-19 nous offre le temps de la réflexion sur nos pratiques, en tant que sportifs et que responsables d’organisations sportives. Partout, on entend que le monde sera différent au terme de cette crise. Il peut l’être de deux façons, soit parce que nous le subirons, soit parce que nous retrousserons nos manches pour qu’il soit meilleur. Comme responsables sportifs, faisons ce second choix.

 

Un cadre

On peut s’accorder pour considérer que trois façons d’organiser le sport coexistent aujourd’hui.

Le sport-spectacle, fait d’équipes professionnelles aux enjeux commerciaux souvent énormes, nous distrait à la télévision. Il échappe en principe au financement par les autorités publiques, desquelles l’intervention directe serait considérée comme une aide d’État, créant une distorsion de concurrence, puisque cette forme de sport relève d’une activité économique pure.

 

Le sport fédéral prend, au travers de ses clubs, la formation sportive du plus grand nombre en charge, offre un cadre structuré d’entrainement à ses pratiquants et organise la compétition, du niveau le plus modeste jusqu’au plus prestigieux, dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques. Dans ce contexte, les meilleurs sont susceptibles de bénéficier de revenus professionnels qui leur garantissent des conditions de pratique raisonnables.

 

Le sport loisir, largement individualisé, pratiqué en famille ou entre amis, en dehors de toute structure, procède fondamentalement de la simple recherche de mieux-être.

Le sport fédéral et le sport loisir bénéficient, à juste titre, d’un co-financement direct ou indirect des autorités publiques. Il prend la forme de subventions aux fédérations sportives et aux clubs et de mise à disposition d’infrastructures aux clubs et aux sportifs de loisirs.

 

Quelles leçons, quelles actions ?

Le sport spectacle, fragile de ses excès

Le football et le cyclisme, en première ligne, certains autres sports collectifs, à un moindre niveau, souffrent de trois maux. Leur dépendance aux droits de télévision, le différentiel entre les salaires des vedettes et des autres, la tolérance de nos sociétés à une gestion financière qui s’affranchit de certaines règles de base ont montré, depuis le début du confinement, combien le manque de liquidités les rend fragiles et peu résilients dans un contexte de crise.

L’autorité publique, au niveau national et européen, et les autorités sportives doivent rappeler au sport-spectacle que la règle sportive est soumise à la loi publique et que ceci ne souffre pas d’exception. L’autonomie sportive se construit à l’intérieur de la loi publique. Le Fair-Play Financier de l’UEFA a été un premier pas. Il doit être amplifié et le cas échéant devenir plus contraignant pour s’imposer, toutes choses étant égales, à tous les acteurs du sport spectacle.

 

Le sport associatif, en quête de stratégie

Dans un récent Baromètre de la Bonne Gouvernance et de l’Innovation que nous avons conduit avec nos collègues de l’université KU Leuven, nous avons mis en évidence les forces et faiblesses de nos fédérations sportives. Parmi les constats formulés, le développement d’une vision pour le futur et de stratégies, la gestion des risques (et la crise du COVID-19 en est un majeur), la transparence des structures et des décisions et l’équilibre des genres dans les organes de décision sont les fragilités à relever par la plupart d’entre elles, à long terme.

A court terme, en vue d’émerger de la crise actuelle, un constat doit être fait. Nos fédérations et leurs clubs sont des acteurs essentiels de cohésion sociale, mais ont perdu des ressources importantes. 

Dès lors, inciter le tissu des entreprises locales à soutenir les clubs amateurs, qui retirent souvent leurs revenus de cotisations et de festivités ou de modestes subventions communales, leur permettrait de témoigner de leur responsabilité sociétale.

Les autorités publiques, au niveau gouvernemental et au niveau local, s’engagent actuellement à garantir une certaine souplesse dans l’affectation des subventions en fonction des activités, à différer ou suspendre le paiement de locations d’infrastructures et de droits de concession. Ces mesures appellent également à la responsabilité des acteurs de terrain. Dans ce contexte, il serait opportun de proposer un centre de connaissance aux responsables de fédérations et de clubs pour une sortie progressive du confinement, qui prenne en compte les spécificités et les risques de chaque sport en matière de santé et coordonne les calendriers pour éviter un engorgement tant local que régional ou national des lieux de pratique sportive.

 

Le sport loisir, plus que jamais outil de santé publique

L’Organisation Mondiale de la Santé, et d’autres acteurs majeurs de la santé, confirment qu’au-delà de la santé physique, ce sont de nombreux paramètres du bien-être qui profitent de l’activité physique et sportive du plus grand nombre.

La crise du COVID-19 nous a montré combien la prépondérance de l’économie sur la santé, l’éducation, la culture et le sport a déséquilibré les valeurs sociétales. Il s’agit, plus que jamais, de stimuler, par des politiques et des ressources européennes, nationales, régionales et locales, la promotion du bien-être par le sport loisir et de l’activité physique en général.

Pour ce faire, en acceptant que le déconfinement total n’est pas pour tout de suite, finançons et stimulons de nouvelles façons de faire du sport et de l’activité physique à domicile ou en très petits groupes. Des tutoriels en ligne, des guides de bonnes pratiques, des applications sur smartphones sont autant d’outils qui peuvent répondre à ces attentes. Certains professeurs d’éducation physique et des écoles l’ont compris et s’y attèlent dès à présent, pour nos jeunes.

Renforçons les politiques innovantes, esquissées avant le confinement, qui promeuvent un style de vie sain et la pratique des activités physiques et sportives auprès de la population, au travail et à domicile. Les déplacements domicile–travail (ou école) à pied, à vélo, ou multimodaux y contribuent. Ils ne constituent pas la piste unique et la créativité doit être stimulée.

En écrivant ce papier, nous n’avons pas la prétention de faire la leçon à qui que ce soit. Forts du constat que nous pouvons soit subir la crise, soit nous retrousser les manches pour que notre monde soit meilleur en en sortant, nous avons esquissé quelques pistes positives qui sont complémentaires les unes des autres.

 

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