« Il faut diversifier les canaux de diffusion pour rendre les savoirs plus accessibles »

Wladimir Andreff, Professeur émérite à l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne et membre du Comité Scientifique de notre Think tank Sport et Citoyenneté, est l’un des grands spécialistes de l’économie du sport en France. Il est également Président d’honneur de la International Association of Sports Economists (IASE) et de la European Sport Economics Association (ESEA). Entretien à l’occasion d’un débat organisé sur l’apport des sciences dans le sport.

 

Propos recueillis par Julian JAPPERT

 

Dans une société où les acteurs de la gouvernance du sport (État, Mouvement sportif, collectivités territoriales, secteur privé) se rencontrent, quelles sont vos préconisations pour rendre les savoirs plus accessibles ?

WA : Il est nécessaire d’avoir une grande diversité de canaux de diffusion. Vous n’allez pas répondre à la demande d’un acteur public comme celle d’un ministère simplement en publiant un billet sur Facebook. De plus, l’information rare a de la valeur. Dans le même temps, les sources d’information sont aujourd’hui immédiatement accessibles à tous. Cet accès libre permis par le numérique renforce la diffusion des savoirs.

 

Comment peut-on arriver à décloisonner les disciplines qui travaillent sur le sport ?

WA : On dit souvent que le sport est un phénomène social total donc qu’il est complexe et qu’il appelle à la pluridisciplinarité. Son savoir a ainsi progressé grâce aux multiples disciplines qui s’y sont intéressées. Pourtant, le degré de coopération des sciences sociales qui s’intéressent au sport a diminué au fil du temps. Cela est dû à une volonté d’affirmation de certaines disciplines comme les STAPS. Aujourd’hui un économiste a besoin de nombreux prérequis pour devenir enseignant. Cela rend le dialogue plus difficile qu’il y a 40 ans. Prenons mon cas, quand le doyen de l’université de Limoges m’a proposé de travailler avec deux professeurs de droit, Jean-Pierre Karaquillo et François Alaphilippe, à la création du Centre de Droit et d’Économie du Sport (CDES). Nous avons rapidement créé une coopération entre juristes et économistes. Aujourd’hui, bien d’autres profils sont associés au CDES, comme des sociologues.

 

La vulgarisation des savoirs facilite-t-elle cette rencontre interdisciplinaire ?

WA : En quelque sorte, car elle permet le dialogue et l’échange entre représentants de diverses disciplines. Ensuite, des programmes de recherches interdisciplinaires existent, mais les prérequis, notamment méthodologiques, rendent plus difficiles de telles collaborations.

 

Vous êtes Président du Conseil scientifique de l’Observatoire de l’économie du sport, créé il y a deux ans. Où en sont ses travaux 

WA : Nous avons construit un tableau de bord statistique de l’économie du sport avec une soixantaine d’indicateurs. Nous sélectionnons des thèmes d’études et lançons des appels d’offre. L’Observatoire publie aussi de manière régulière des notes économiques sur le sport.

Lors du lancement d’études économiques, nous sommes sollicités pour suivre la mise en place du projet et participons ensuite au comité de pilotage afin d’en contrôler la méthodologie et parfois l’évaluation finale. Ces derniers mois, nous avons été sollicités par le Ministère de la ville, de la jeunesse et des sports dans le cadre de la réalisation d’une étude sur l’impact économique de l’EURO 2016. Le CDES a aussi réalisé une étude d’impact économique de la candidature Paris 2024 et m’a associé ainsi que mes collègues Stefan Szymanski et Holger Preuss, au sein de leur comité scientifique international.

 

L’actualité, c’est aussi l’évaluation de l’héritage immatériel des grands événements sportifs. Est-ce que l’Observatoire de l’économie du sport travaille sur des méthodes ou des matrices d’évaluation ?

WA : Je suis un critique violent du dépassement des coûts des grands événements sportifs internationaux. Maintenant que nous avons obtenu les Jeux Olympiques et Paralympiques, le Cabinet de la ministre des Sports est très sensible à la question de l’héritage. A un moment, il y a eu l’idée de créer une sorte d’audit qui, sur tous les grands événements sportifs internationaux accueillis en France, contrôlerait les coûts et l’héritage autant que possible. Nous envisageons aussi d’agrandir le Conseil scientifique de l’Observatoire de l’économie du sport, avec l’apport de personnes aux profils différents, comme un collègue économiste de l’environnement. Une réflexion vise aussi à confier à l’Observatoire la tâche d’auditer et de publier un rapport annuel sur les coûts des événements accueillis en France et sur l’héritage de ces manifestations.

 

Fin 2017, une proposition de loi souhaitait taxer les principaux transferts de joueurs de football, au profit du sport amateur. Que pensez-vous d’une telle idée ?

WA : J’ai un avis plutôt positif sur ce sujet, puisque j’ai conçu en 1999 une taxe dite « Coubertobin », qui était une taxe sur les transferts des joueurs provenant du tiers-monde, dont le produit aurait pu servir au développement du sport dans ces régions. Cette proposition de loi aurait eu la vertu de ralentir un peu l’escalade que l’on connaît dans le monde du football, avec la réserve qu’elle n’aurait été applicable qu’en France. Les produits de cette taxe auraient été affectés au CNDS, ce qui était une bonne idée.

 

Laura Flessel a lancé un chantier sur l’organisation et la gouvernance du sport. Celle des clubs de football professionnel n’a pas une image très positive. Quel est votre avis sur le sujet ?

WA : J’ai eu le plaisir d’être consulté avant la mise en place du Fair-Play Financier européen. J’étais plutôt du côté des Allemands sur ce sujet, car les Anglo-Saxons et les Russes ne voulaient pas de ce système de contrôle. Je ne viserai pas particulièrement les clubs français, dont la situation est nettement meilleure que la moyenne des clubs européens. Il faut garder à l’esprit qu’au moment de l’introduction du Fair-Play Financier en 2012, deux tiers des clubs de football européen de première division (sur 700 clubs) étaient dans le rouge, et 80 à 90 clubs avaient une masse salariale plus grande que leur budget. C’est un indice de mauvaise gouvernance et c’est pour cela que j’ai appuyé la mise en place du Fair-Play Financier.

 

 





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