Interview de Karine Baillet

Parmi les Wonder Sport Women inspirantes, il y a Karine Baillet. Depuis toute petite, elle a cette rage qui caractérise les plus téméraires. Elle a sillonné le globe pour, sans cesse, repousser ses propres limites en pratiquant un sport peu connu : le Raid Aventure. Après avoir connu des zones parfois inaccessibles, en pleine nature, à l’autre du bout du monde, la voilà aujourd’hui auteure, leader, conférencière, organisatrice d’événements, vice-présidente de la fédération française de raid, et aussi maman.

Comment a-t-elle réussi à devenir capitaine d’une équipe mixte, à remporter LE Raid Gauloises avant de devenir vice-championne du monde, à se reconvertir après plus de vingt ans d’exploits, à s’imposer dans un monde d’hommes, tout en restant féminine ? J’ai voulu en savoir plus sur cette femme que j’ai eu le plaisir de rencontrer lors des Journées Nationales du Livre et du Vin à Saumur. Réponses à bâtons rompus.

Propos recueillis par Emmanuelle Jappert

Comment en es-tu arrivée à faire un sport peu connu, mais aussi peu pratiqué par les femmes ?

KB : Mes parents n’étaient pas sportifs mais ils m’ont toujours encouragée. Mon institutrice est allée les voir pour leur dire que ce serait bien que je fasse du sport, vu toute l’énergie que j’avais. Mon papa, dans son taxi, transportait le maire du Touquet, la ville où j’ai grandi, et il lui a parlé de la remarque de l’institutrice. Le maire lui a conseillé le club d’athlétisme pour que mes sœurs et moi puissions nous défouler. J’ai adoré cette activité jusqu’à l’adolescence. Vers 14-15 ans, j’ai commencé à faire des courses sur route. Jusqu’au jour où on m’a dit : « il nous faudrait une fille pour aller faire un raid à Lille. Est-ce que tu veux venir avec nous ? ». C’était le début d’une nouvelle activité qui allait très vite devenir ma passion. Vélo, course à pied, kayak, wakeboard… dans un raid on pratique des disciplines très différentes. C’est très varié et c’est ce que j’ai aimé.

« Vélo, course à pied, kayak, wakeboard… dans un raid on pratique des disciplines très différentes. »

Après, j’imagine que tu as eu une carrière de sportive de haut niveau tout en travaillant. Comment arrivais-tu à gérer un emploi du temps chargé ?

KB : J’ai toujours travaillé bien sûr. En France, on ne passe pas professionnel aussi facilement qu’aux États-Unis. J’ai commencé par être professeur de fitness. Puis j’ai repris mes études pour obtenir le CAPEPS. C’est comme ça que je suis devenue prof d’EPS à 25 ans. Je demandais des congés au rectorat quand je devais partir en raid. Parallèlement à cette activité d’enseignante, j’organisais (et j’organise toujours via ma société KBO organisation) aussi des évènements comme le Touquet Raid Pas de Calais, le Touquet raid amazones, le trail des 2 baies…

Comment es-tu passée des raids amateurs aux Raids Gauloises, le must des raids ?

KB : Par chance, les sélections avaient lieu dans la région du Pas de Calais. Il fallait faire 400 km de vélo, 100 km de canoë et faire rallier le Touquet à Lille en courant, soit 200 km! Au terme de ces épreuves, on pouvait concourir pour le fameux Raid Gauloises. Tout le monde me disait : « Tu vas voir, il faut faire 1000km, en 5-6 jours, tu dors très peu car il n’y a pas d’arrêt la nuit, on est en équipe du début à la fin, c’est une course difficile ». Mais cette expérience a été le début d’une passion. J’ai ensuite été recrutée pour non plus finir un Raid Gauloises mais essayer de le gagner ! Nous avons remporté le Raid Gauloises en 2002 au Vietnam. Puis je suis devenue capitaine dans ce milieu masculin et avec mon équipe. Nous sommes devenus deux fois vice-champions du monde. En 2010, j’ai lancé « Le Grand Raid » de la Région Nord Pas de Calais. Dans cette zone réputée improbable pour un raid aventure nous avons fait venir les meilleures équipes de monde. Quel souvenir !

Quand et pourquoi as-tu cessé de faire des Raids alors qu’il n’y a pas de limite d’âge ?

KB :  J’ai arrêté en 2012 avec le Marathon des Sables en individuel que je faisais au profit d’une association humanitaire. C’est là que j’ai eu un déclic. J’avais l’impression d’avoir fait le tour. J’avais 40 ans et j’aurais pu continuer, c’est vrai. J’aimais toutes ces heures passées à l’entrainement et dans les raids mais ce marathon des Sables a été un véritable voyage intérieur. Il m’a fait prendre conscience que j’avais vécu une première partie de vie dédiée au dépassement de soi, à l’esprit d’équipe, aux aventures. C’était ma manière de m’exprimer. Mais à ce moment de mon parcours, j’avais envie de le faire différemment, sans devoir m’entrainer 25-30h par semaine, sans vouer ma vie entière à ça. Il était temps de découvrir autre chose, d’être dans une autre dynamique. Alors j’ai raccroché le dossard. Et peu de temps après, j’ai rencontré le papa de ma fille. Depuis, ma deuxième vie a commencé.

« Je m’entretiens au moins une demi-heure par jour, soit en faisant un footing, en allant nager ou en faisant un peu de vélo. Mon corps en a besoin. »

Fais-tu encore une activité physique aujourd’hui, pour garder la forme ou te défouler ? J’imagine que l’énergie que tu avais petite est toujours là !?

KB : Je m’entretiens au moins une demi-heure par jour, soit en faisant un footing, soit en allant nager ou en faisant un peu de vélo. Mon corps en a besoin. Ces petits moments d’une demi-heure me permettent de quitter le boulot, le téléphone, tout notre environnement connecté et d’être bien avec moi-même. C’est ma petite récréation.

Que conseillerais-tu aux femmes qui s’interrogent sur le rythme idéal de séances dans une semaine ?

KB : Je conseillerais 5 jours sur 7 avec un peu de repos entre. Personnellement j’en ai besoin tous les jours mais c’est vrai que j’ai un corps qui était habitué à faire beaucoup de sport. Pour celles qui n’ont pas eu ce rythme, une demi-heure est suffisante, mais le plus régulièrement possible pour en retirer un maximum de bienfaits physiques et psychiques.

Aujourd’hui, comment arrives-tu à tout concilier ? Entre les conférences, les cours à l’université Paris Sud, ta vie privée… Qu’aurais-tu envie de dire aux femmes qui sont débordées par la charge mentale qui pèse sur leurs épaules ?

KB : Pour commencer, s’octroyer une demi-heure pour aller faire du sport nous permet d’évacuer et de se sentir du bien. Parfois, faire un petit footing à 18h alors qu’on a encore du travail, ou que les enfants nous réclament, c’est la meilleure solution pour recharger les batteries. Personnellement j’utilise beaucoup l’image du sac à dos en conférence : Quand je suis arrivée au Marathon des Sables, j’avais un sac de 10kg sur le dos, ce qui me faisait dépenser beaucoup d’énergie. J’ai alors vidé le tout par terre pour ne prendre que le nécessaire. Et tous les jours, je pense que c’est important de vider son sac à dos et de trier ce qu’on met dedans. Parfois, il faut déléguer, parfois il faut arrêter de faire certaines choses. Il est faux de croire que plus on en met, plus on va y arriver. C’est tout le contraire !

« J’utilise beaucoup l’image du sac à dos en conférence : Quand je suis arrivée au Marathon des Sables, j’avais un sac de 10kg sur le dos, ce qui me faisait dépenser beaucoup d’énergie. J’ai alors vidé le tout par terre pour ne prendre que le nécessaire. Et tous les jours, je pense que c’est important de vider son sac à dos et de trier ce qu’on met dedans. »

Sur les différents parcours de raids, tu t’es souvent retrouvée capitaine. Comment as-tu fait pour prendre ta place dans un milieu plutôt masculin ?

KB : J’avais fait mes preuves sur le terrain. J’étais reconnue dans le milieu. Si bien que quand j’ai décidé de me lancer en tant que capitaine, je me suis dit que je n’avais pas envie d’être un capitaine qui impose tout, j’avais envie d’amener d’autres choses. J’ai recruté des équipiers qui trouvaient intéressant d’avoir une femme pour capitaine. Je me suis appuyée sur leurs compétences et leur force physique. Cela dit, il y a quand même pas mal d’articles qui sont sortis à l’époque me qualifiant de « La dame de fer ». D’apparence, j’étais féminine mais c’est vrai que dans les courses, je ne lâchais rien.

« L’enjeu repose sur le fait d’oser être leader ou manager, d’oser monter des projets, de se faire reconnaitre aussi par la gente masculine. C’est important d’aller au bout des projets. Il n’y a pas de raison de ne pas réussir ! »

Parles-moi de ton livre « Conquêtes de femmes ». Tu l’as écrit avec la journaliste Sophie Chegaray. Quels messages souhaites-tu faire passer à travers lui.

KB : Je voulais partager mon expérience, mes valeurs. Sophie Chegaray, journaliste à Marie-Claire a écrit plusieurs articles sur moi quand je faisais les raids. Et nous avons eu envie de co-écrire ce livre pour partager avec les lecteurs mon vécu. C’est un témoignage de femme et de sportive. Cela reprend les anecdotes que je raconte en conférence. Passer par l’écrit m’a permis de poser mon histoire, de faire ressortir le fil conducteur. Au fond, je ne suis animée que par la passion et le plaisir. C’est comme ça que je puise toute ma force et mon énergie. S’il y avait une chose à retenir, ce serait que l’enjeu pour les femmes repose sur le fait d’oser être leader ou manager, d’oser monter des projets, de se faire reconnaitre aussi par la gente masculine. C’est important d’aller au bout des projets. Il n’y a pas de raison de ne pas réussir !





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