JO de Pékin 2022 – morituri te salutant

 

Dr Bénédicte HALBA

Présidente fondatrice de l’Institut de recherche et d’information sur le volontariat

Membre du comité scientifique de Sport et Citoyenneté

https://www.iriv.net/

 

L’équipe néo-zélandaise de rugby est surnommée « All black » à cause du maillot noir qu’elle porte, le deuil de leurs adversaires. Leur message est clair : préparez-vous à mourir. La dimension psychologique est aussi importante que la force physique dans le sport. Les sportifs de haut niveau doivent avoir un mental à toute épreuve ; parfois ce ne sont pas les plus forts qui l’emportent. Il faut gagner la guerre des nerfs. Le sport est un combat. Il peut aussi être le lieu d’affrontement entre régimes qui n’ont pas la même conception de la démocratie.

Pour ouvrir les Jeux Olympiques de Pékin 2022 et allumer la torche olympique, les autorités chinoises ont choisi une skieuse de fond ouïghoure, Dinigeer Yilamujiang. On connaît les persécutions subies par la minorité turcophone, musulmane, depuis l’accession au pouvoir du président Xi Jinping. Les revendications légitimes des Ouïghours qui se sont exprimées par des manifestations depuis 2014 (1), ont été le prétexte d’une politique de répression brutale du régime chinois. Des arrestations arbitraires et des enfermements dans des camps d’internement, où le seul crime des prisonniers est d’être Ouïghour, ont suivi. Les Ouïghours sont « rééduqués » – torturés physiquement et psychologiquement. Les femmes sont stérilisées ou violées. Des travaux forcés sont imposés à des hommes et des femmes qui sont réduits en esclavage, leurs droits humains les plus élémentaires bafoués (2). Alertées par plusieurs ONG, des institutions ont fini par dénoncer le « génocide » dont était victime le peuple ouïghour (3). L’ONG Human Right Watch a qualifié les Jeux de Pékin de « Jeux du génocide ».

Demander à une sportive ouïghoure d’allumer la flamme olympique est une provocation de la Chine à l’égard des démocraties occidentales qui ont choisi de ne pas envoyer de dirigeants aux Jeux de Pékin pour dénoncer la politique chinoise. Mais les équipes nationales sont présentes et disputent les Jeux. Ce n’est pas la politique de boycott radicale appliquée en 1980 par les États-Unis lors des Jeux de Moscou, en pleine Guerre Froide. Les athlètes américains n’avaient pas participé à la compétition en raison de l’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique. Il y a des degrés dans la guerre des nerfs et dans la fermeté du message.

Aux Jeux de Pékin 2022, le président russe Vladimir Poutine s’est affiché dans la tribune officielle aux côtés du président Xi Jiping. Le moment est propice pour les régimes autoritaires de s’affirmer face aux démocraties occidentales. La Russie menace depuis des semaines d’envahir l’Ukraine et masse des milliers de soldats russes à la frontière russo-ukrainienne. Ce n’est pas la guerre, mais ce n’est pas non plus la paix alors que les cyberattaques se déchainent sur les réseaux sociaux. Une déclaration sino-russe signée le 4 février 2022 propose un nouveau modèle démocratique mondial pour le XXIème siècle, une « nouvelle ère » ; une autre provocation des deux plus célèbres autocrates de la planète (4).

Dans l’Antiquité romaine, les gladiateurs adressaient cette salutation à l’empereur « Ave Cesar, morituti te salutant » avant de s’affronter. De manière subliminale, le même message est adressé par la jeune sportive ouïghoure contrainte de s’exécuter et de défendre les couleurs d’un régime qui opprime son peuple. Il n’est pas sûr que les Jeux de Pékin soient en phase avec la « nouvelle ère » démocratique autoproclamée par le couple sino-russe. – pas de trêve olympique pour les « démocratures ».

 

 

(1) Documentaire diffusé sur Arte le mardi 8 février 2022, « Chine : le drame Ouïghour », François Reinhard, 2021

(2) Selon l’Institut ouïghour d’Europe, il y aurait 600 000 travailleurs forcés au Turkestan

(3) L’Union européenne n’a reconnu le génocide ouighour qu’en 2021 alors que les persécutions ont commencé depuis 2014- https://www.franceculture.fr/geopolitique/la-reconnaissance-du-genocide-des-ouighours-mobilise-partout-en-europe

(4) Sylvie Kauffmann « Moscou-Pékin, une amitié « sans limites », Le Monde, jeudi 10 février 2022

 





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