La Coupe du monde 1982 et la médiatisation du sport en Italie

 

Dans le cadre prestigieux de la Bibliothèque de l’Archiginnasio de Bologne (Italie), ancien siège de l’université de la ville que Napoléon transforma en bibliothèque en 1803, avait lieu vendredi 21 octobre 2022 la conférence intitulée « Histoires Mondiales : sport, médias et société de 1982 à nos jours », organisée par l’Université de Bologne.

 

Equipe d'Italie lors de la coupe du monde 1982

 

Par Rosarita Cuccoli, Docteure en Science politique, spécialiste en journalisme sportif. Laboratoire Arènes – Université de Rennes 1

Membre du Comité Scientifique du Think tank Sport et Citoyenneté, référente « Sport et Médias »

 

La conférence, qui s’est tenue dans le cadre du Festival International d’Histoire, honorait la mémoire de Stefano Martelli. Décédé en octobre 2020 à l’âge de 68 ans, Martelli fut professeur de sociologie des processus culturels et communicatifs à l’Université de Bologne et un véritable précurseur de la discipline. Il fut également le fondateur du SportComLab – Centre d’Études et de recherche sur la communication sportive de l’université de Bologne. La conférence a réuni quelques-uns des plus grands spécialistes italiens de la sociologie du sport qui, en évoquant l’héritage scientifique de Martelli, ont discuté notamment de l’importance de la victoire de l’Italie à la Coupe du monde 1982, aussi bien pour le pays, d’un point de vue social, et en tant qu’événement médiatique majeur. La conférence a donc été l’occasion de faire le point sur la recherche dans le domaine du sport et des médias en Italie, à laquelle Martelli donna une impulsion décisive.

La première partie de la conférence, animée par Maurizio Marano (Université de Bologne), était intitulée « D’Italie 1982 au mythe : contextes et représentations d’une Coupe du monde de football ». Nicola Porro (Université de Cassino) a ouvert la riche série de communications de la matinée. En 2013, Porro fut l’auteur avec Martelli d’un manuel sur la sociologie du sport qui demeure une référence en la matière. Porro a souligné le rôle de la victoire de l’Italie à la Coupe du monde 1982 dans la construction du tissu identitaire du pays. La victoire ultérieure de l’Italie à la Coupe du monde 2006 en Allemagne n’aura pas un impact comparable, a-t-il précisé. Alberto Guasco (CNR – Institut d’histoire de l’Europe méditerranéenne) a rappelé quant à lui le pedigree des journalistes sportifs qui racontèrent la Coupe du monde en 1982, de Nando Martellini pour la télévision au regretté Gianni Mura pour la presse écrite. Guasco a évoqué également les écrivains qui avaient travaillé en tant que journalistes sportifs à l’occasion de la Coupe du Monde 1982, parmi lesquels Giovanni Arpino, Oreste del Buono, Mario Soldati et bien sûr Gianni Brera, icône absolue du journalisme sportif italien de tous les temps mais aussi auteur de fiction. Selon Guasco, le récit de la Coupe du monde de 1982 devint un modèle pour le récit journalistique des Coupes du monde suivantes. L’historien Riccardo Brizzi (Université de Bologne) a cité un autre écrivain qui fut aussi journaliste sportif, certainement le plus connu, à savoir Pier Paolo Pasolini. Brizzi a dressé ainsi un portrait du contexte socio-politique des années 1980, celles d’un championnat du monde victorieux et de l’euphorie collective mais aussi de l’assassinat du Préfet de Palerme Carlo Alberto dalla Chiesa, tué le 3 septembre 1982 juste quelques semaines après la finale au Santiago Bernabéu du 11 juillet. Pendant les années 1980, le championnat italien était « le plus beau du monde », a rappelé ainsi Brizzi, grâce aussi aux champions étrangers qui évoluaient en Serie A, comme Diego Maradona, Michel Platini ou Falcão, pour n’en citer que quelques-uns. Lors de la saison 1989/90, les trois grandes compétitions européennes de l’époque ont été remportées par trois équipes italiennes : la coupe d’Europe des Clubs Champions pour l’AC Milan, la Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe pour la Sampdoria de Gênes et la Coupe de l’UEFA pour la Juventus. Les années 1980 ont également représenté, explique Brizzi, une grande saison médiatique pour le football. Le phénomène des talk-show télévisés explose, avec notamment l’émission « Il Processo del Lunedì » d’Aldo Biscardi, où se succèdent non seulement sportifs et entraîneurs mais aussi intellectuels et politiciens. Nicola Sbetti (Université de Bologne) a complété l’excursus historique avec les années 1990. Au cours de cette décennie, le football s’est transformé pour devenir plus attrayant en tant que spectacle. En d’autres termes, le football évolue alors pour répondre aux besoins des médias, notamment de la télévision. À cet effet, des modifications de jeu sont introduites telles que la victoire à trois points (1994) et le troisième remplacement généralisé (1995), entre autres. Ce sont aussi les années de l’avènement de la télévision payante dans le championnat italien (saison 1993/94). Ivo S. Germano (Université du Molise) a clos la première partie de la conférence en l’enrichissant d’épisodes personnels. Ivo est le fils de Stefano Germano, ancien journaliste en charge du football international au sein du Guerin Sportivo. Germano a offert une précieuse synthèse de la situation du journalisme sportif au cours des années entourant la Coupe du monde 1982, caractérisées à son avis par trois éléments clés : 1) le journalisme sportif garde jusqu’au Mundial 1982 une place centrale dans le débat public italien ; 2) ce sont des années où les différents médias (presse écrite, radio, télévision) coexistent avec succès ; et 3) la mythologie sportive prenait la forme du récit d’un sentiment populaire. Selon Germano, la Coupe du monde 1982 marquera la dernière grande saison de la presse écrite italienne et amorcera la transition vers un nouveau langage journalistique.

La deuxième partie de la conférence, intitulée « Le sport, un fait culturel : les études de Stefano Martelli », animée par Alberto Marinelli (Sapienza – Université de Rome), s’est ouvert sur les salutations de William Gasparini (Université de Strasbourg) et d’Alessandro Porrovecchio (Université du Littoral Côte d’Opale et ESA Research Network 28). Roberto Farnè (Université de Bologne), pédagogue et membre du bureau de « Sport e Salute », a évoqué sa collaboration avec Martelli dans l’étude des questions sociologiques au sein de la faculté de Sciences du sport de l’université de Bologne, un élément qui distingue encore la faculté bolognaise de plusieurs homologues dans d’autres universités, dit Farnè. Nico Bortoletto (Université de Teramo) s’est concentré sur le thème du bénévolat dans le sport. Le bénévolat, on le sait, est au cœur du fonctionnement du sport amateur, ou « sport pour tous ». Les dernières données du Comité Olympique Italien (CONI) sur les associations sportives en Italie témoignent malheureusement d’un déclin pendant les années de crise sanitaire (2019-2020). Cependant, 460 000 bénévoles sont encore impliqués dans le sport en Italie, nous signale ce rapport. Selon Giovanni Boccia Artieri (Université d’Urbino), si Stefano Martelli était en vie aujourd’hui, il concentrerait ses travaux sur l’explosion du sport dans la société, qui devient de plus en plus accessible à tous, comme en témoignent des phénomènes tels que le fitness et le well-ness. Nicola Strizzolo (Université de Teramo) a décrit Martelli comme un expert des médias à 360 degrés et en a rappelé l’extrême rigueur scientifique, l’une des principales contributions de Martelli dans ses interactions avec les collègues et les étudiants. Selon Strizzolo, le sport médiatique d’aujourd’hui, influencé par les grandes marques, plutôt que de promouvoir « l’éducation par le sport » finit par créer des consommateurs et des ambassadeurs de ces marques.

La conférence a été clôturée par Giovanna Russo, coordinatrice de l’événement, chercheuse au Département de Sciences de l’éducation de l’Université de Bologne et ancienne élève de Martelli, avec qui elle a partagé dix années de travail. La communication de Russo est significativement intitulée « La sociologie du sport, au-delà du sport ».





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