La crise de l’arbitrage sportif

Jaime ANDREU, membres du Comité Scientifique et
Ancien chef de l’Unité Sport à la Commission européenne et Instructeur National d’Arbitres de la FIBA*

 

 

Le monde, de l’arbitrage sportif connaît une crise sans précédent. La pandémie du COVID 19 a déclenché une perte massive des effectifs arbitraux et ce partout dans le monde, tous les sports confondus. D’après les informations recueillies par le magazine « Referee » rien qu’aux Etats Unis la perte d’arbitres s’estime entre 30 et 35% ; en Europe, des chiffres similaires sont avancées par les différentes fédérations sportives. Des signaux d’alarme ont retentis, la carence d’arbitres peut amener la suspension de certaines compétitions sportives.

 

Les raisons d’une crise

La pandémie n’a fait qu’accélérer un phénomène dont on parlait depuis quelques années. Les vocations arbitrales étaient en perte de vitesse, or le nombre de compétitions sportives continuait d’augmenter. Les raisons principales expliquant ce manque d’intérêt envers l’arbitrage sont au nombre de deux. D’une part, l’escalade du manque de sportivité notamment de la part des coaches et des parents. D’autre part, le manque d’un encadrement approprié de la part des fédérations sportives en ce qui concerne la formation et le soutien aux arbitres, notamment aux jeunes arbitres débutants. Dès lors, il importe d’analyser ces deux raisons principales, afin d’enrayer cette perte d’effectifs et d’essayer de jeter les bases pour attirer de nouvelles recrues vers le monde de l’arbitrage.

L’accroissement du manque de sportivité est dénoncé par une enquête menée par « Referee » parmi seize mille arbitres aux Etats Unis, comme le facteur le plus important pour prendre la décision de quitter l’arbitrage. Les arbitres sont d’avis que si ils parviennent à contrôler les joueurs sans trop de problèmes, en revanche ils dénoncent l’attitude de plus en plus agressive et méprisante des parents et des entraîneurs. Les autorités publiques et les organisations sportives ont lancé des campagnes de sensibilisation pour enrayer ce problème, Des campagnes, avec peu de ressources, qui se traduisent par un impact nul auprès du public visé. Au contraire, les réseaux sociaux en favorisent la propagation de toute sorte de messages incitant à la haine, critiquant les arbitres, dont le résultat est – comme cela se passe, par exemple, au niveau politique – l’exacerbation des conduites, la radicalisation des personnes. Il ne suffit pas de se contenter de dire qu’il s’agit d’une minorité, car c’est bien cette minorité qui dégoute les jeunes arbitres, les incitant à quitter l’arbitrage.

La deuxième grande raison pour laquelle les arbitres quittent l’arbitrage est le manque d’encadrement approprié de la part des fédérations sportives. Une jeune personne qui se lance dans le monde de l’arbitrage est, avant tout, un passionné de ce sport. Un passionné qui est prêt à vivre sa pratique favorite avec une autre perspective. Arbitrer n’est pas une tâche facile. L’arbitrage requiert une préparation physique adéquate, une formation aux règles de jeu et à la technique du sport que l’on arbitre et, finalement, une préparation psychologique, car le rôle de l’arbitre est similaire à celui d’un facilitateur dans le domaine des ressources humaines. Or la plupart des fédérations embauchent des arbitres, leur donnent une préparation superficielle et ils sont lancés sur les terrains de jeu sans la préparation nécessaire. Par la suite, les fédérations manquent cruellement des ressources appropriées pour assurer le suivi technique des arbitres et leur donner le soutien psychologique nécessaire quand les difficultés arrivent. Le résultat ? Le jeune arbitre, dès qu’il doit faire face à l’agressivité des parents, à l’attitude méprisante d’un coach ou d’un dirigeant, prend peur, commence à hésiter et finit par quitter la pratique de l’arbitrage. La compensation financière qu’ils reçoivent ne suffit pas à retenir les personnes dans l’arbitrage, tellement le harcèlement moral qu’ils subissent est brutal.

Il convient de mieux encadrer, car un arbitre qui se considère bien soutenu par la fédération, pourra plus facilement dépasser les problèmes liés au manque de sportivité.

 

Investir dans l’arbitrage

Les fédérations devraient être plus attentives à la question de l’arbitrage. Préoccupées par la gestion des équipes nationales – devenues leur principale source budgétaire -, elles oublient, dans une large majorité, que l’une des principales tâches fédérales qu’elles doivent assurer, est celle d’encadrer une équipe d’arbitres bien formés et compétents. Un arbitrage de qualité contribue aussi à l’essor d’une discipline sportive. Mais les fédérations et leurs dirigeants sont chiches à l’heure d’accroître le budget consacré à l’arbitrage. Les fédérations doivent viser à une professionnalisation graduelle des cadres chargés d’encadrer les arbitres. Ces activités reposent la plupart du temps sur un bénévolat démodé qui a déjà prouvé ses limites. Le grand juriste Maurice Duverger soutenait que le budget est la concrétisation des priorités politiques d’une organisation. Nous partageons cette affirmation et c’est la raison pour laquelle il importe d’encourager les fédérations sportives à investir dans l’arbitrage : un investissement dont vont bénéficier tous leurs membres.

Certains arborent le slogan « sans arbitres, pas de sport »; celui-ci me semble excessif. L’arbitre est un élément indispensable pour la pratique sportive, mais tout autant que les autres acteurs : joueurs, coaches, parents… Si le mot crise en chinois s’écrit avec les graphismes du danger et de l’opportunité, le moment semble venu de se rendre compte non seulement du danger que représente la perte d’arbitres, mais aussi de l’opportunité offerte pour jeter les bases d’une politique en matière d’arbitrage sportif qui s’accorde avec les temps actuels, c’est-à-dire, beaucoup plus professionnalisée et plus technique. Il en va de l’avenir d’un sport de qualité.

*Fédération Internationale de Basketball





Sport et citoyenneté