« L’économie du sport, une pensée unique »

 

Interview de Hugo Jappert – Retraité, Membre fondateur du Think tank Sport et Citoyenneté et Professeur de Sciences Economiques et Sociales.

Quelle est votre perception du secteur économique du sport ?
HJ : Je ne suis pas un spécialiste de l’économie du sport en tant que telle, mais j’ai bien sûr un avis global sur le sujet. Je dirais que le sport fait l’objet d’un marché économique spécifique qui a énormément de retombées sur la société et dont l’utilisation est sûrement discutable car elle a un caractère proche de l’activité spéculative. Cela entraîne un certain nombre de défauts mais n’enlève rien à la qualité intrinsèque du sport comme activité physique et ludique.

Qu’entendez-vous par « activité spéculative » ?
HJ : Je pense que dans notre société et notre système économique, ce qui pollue et pose des problèmes à un grand nombre d’activités, y compris les activités sportives, c’est une recherche effrénée du profit. Il y a dans le marché sportif cet élément qui entraine à mon sens un certain nombre d’abus, qui sont extrêmement préjudiciables à l’image, l’éthique et aux valeurs du sport, et qui permettent à certains groupes de s’enrichir de façon assez scandaleuse. A côté, mais pour moi cela va de pair, c’est le moyen pour des groupes d’avoir une activité socio-économique et idéologique leur permettant d’arriver à leurs fins, garantissant par-là, la pérennité et la reproduction du système social, économique et politique favorable aux classes dominantes.

Ce que vous décrivez dans le sport peut se retrouver dans d’autres secteurs d’activités, quel est donc l’autre système, l’alternative que l’on pourrait envisager ?
HJ : De mon point de vue, le secteur sportif doit être, d’une façon ou d’une autre, encadré, réglementé, contrôlé et surveillé à des fins de garantie par les pouvoirs publics, donc l’État. A côté, il peut y avoir une autre partie des activités sportives, en particulier les plus décentralisées, les plus inscrites dans le tissu social, qui soient gérées par le secteur privé associatif mais avec je le répète un œil vigilant de la part des pouvoirs publics pour éviter des abus.

In fine les pouvoirs publics contrôleraient tout ?
HJ : Le verbe « contrôler » n’est pas assez précis. On peut à mon sens, en partenariat, en discussion avec le mouvement sportif (clubs, fédérations…) et tous les organismes ayant un intérêt pour ce secteur spécifique, prévoir des mécanismes d’aide, de garantie, de solidarité financière à un bon fonctionnement démocratique, équitable, solidaire, pour ne pas perdre de vue les principes fondamentaux de bonne gouvernance de nos sociétés.

Finalement, la masse financière du sport, et elle est importante, serait contrôlée et imposée pour une redistribution vers le sport pour tous, le sport que l’on pratique dans les clubs. Dans ce schéma la puissance publique contrôlerait le marché pour l’orienter vers la pratique effective du plus grand nombre, c’est bien cela ?
HJ : Cela me parait effectivement être la piste la plus juste, la plus efficace. Cependant je suis conscient que cela nécessite une révolution intérieure qui ne peut se faire sans une réelle volonté politique, courageuse, et en parfaite coordination avec le mouvement sportif.

Comment initier un changement dans un secteur d’activité performant, même en période de crise ?
HJ : De manière générale, je recommande le processus suivant : nous sommes dans une société avec des règles démocratiques, il y a un système électoral, une offre politique et des programmes développés par les différents partis. Cette vision théorique peut donc clairement s’exprimer. Si la personne en charge de ce projet sort vainqueur de la joute électorale, il n’y a aucune raison de ne pas mettre en pratique cette politique. Cependant, actuellement il me semble que ceux qui indiquent la direction à suivre sont des organismes à caractère national voire international, qui ne sont pas représentatifs, et qui pourtant, par les moyens qu’ils ont, réussissent à imposer leur volonté, leur système à des fins oligarchiques. Je laisse le soin aux spécialistes de les énumérer. J’ai l’intuition que les organisations sportives, les institutions européennes et internationales mais aussi les institutions intergouvernementales et les États vont toutes dans le même sens.

Quel est le risque de la surimposition d’un secteur en pleine croissance et qui fonctionne bien ?
HJ : Le risque, c’est principalement la perte de certains avantages. Nous savons que les groupes et les personnes qui trouvent des intérêts divers au fonctionnement actuel font tout pour éviter de perdre leur pouvoir. Or, lorsque l’on fait de la politique, je crois que la première des choses est d’avoir des capacités pédagogiques, didactiques, d’être un bon communicant pour expliquer clairement une idée. Dans notre pays nous formons des personnes ayant une capacité d’imagination et une connaissance des rouages qui sont incommensurables. Les détails techniques de l’application d’un tel projet peuvent prendre une apparence autre qu’une réforme fiscale.

Dernière question, pourquoi selon vous ce type de réforme n’est pas mis en place ?
HJ : La plupart des derniers ministres des sports ne sont ni concernés, ni spécialisés véritablement par ce sujet, ils n’ont donc pas la vision la plus adaptée. Je pense d’ailleurs qu’ils sont dénigrés au sein même de leur gouvernement. Or le sport a aujourd’hui une forte puissance médiatique, économique et d’influence auprès des jeunes, que la réforme pourrait inculquer. Ce secteur pourrait même devenir un modèle de changement de société. Je voudrais cependant préciser que cette problématique est développée de façon la plus discrète et minimale dans les médias car le système en place n’a aucun intérêt à ce que ce type d’idée, de conception, de nouvelle façon de procéder et d’être se développe.





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