Li Xian, Shen Yanfei, et « la naturalisation de masse »

2 août 2012

 

Costaz_Clarisse

 

Clarisse Costaz

Chargée de mission, Sport et Citoyenneté

 

 

JO de Londres, dimanche 29 juillet : fin de parcours pour la Française Li Xian, éliminée au troisième tour du tournoi simple féminin en 4 sets, par l’Espagnole Shen Yanfei. Les commentateurs, bien que s’attelant régulièrement à rappeler les nationalités des deux athlètes (Espagnole et Française), ne peuvent s’empêcher de dériver sur des propos que l’on peut juger, hors contexte, un peu limites, voire xénophobes. A se demander laquelle des deux est la plus « Française » ou la plus « Espagnole », le spectateur a pu effectivement être surpris par ce genre de remarques stéréotypées que l’on s’efforce de combattre concernant, par exemple, les athlètes français d’origine africaine, que l’on qualifie fréquemment de « Franco-Camerounais » au lieu de simple Français.

Cependant, au-delà des réticences éthiques que l’on peut légitimement ressentir, le panorama du tennis de table aux Jeux Olympiques n’en souligne pas moins la réelle problématique de naturalisation outrancière, et du phénomène de « naturalisation de masse ». Si l’on se penche avec plus d’attention sur la composition des équipes de tennis de table espagnole, française et turque, la chance de tomber sur un ou une « Li Xian » et « Shen Yanfei » est en effet de 40% pour l’Espagne, 66% pour l’Hexagone et 100% pour la Turquie ! L’exemple du tennis de table, bien que révélateur de l’hégémonie asiatique sur la discipline et des stratégies utilisées par les autres pays pour tenter de remporter quelques médailles, n’est toutefois qu’un aperçu de la tendance générale à la naturalisation dans la sphère sportive.

D’un point de vue plus global, le phénomène peut s’observer dans toutes les disciplines : des rugbymen Fidjiens évoluant sous les couleurs des All Blacks aux fondeurs Kényans ou Ethiopiens courant pour des pays du Golfe (Qatar, Bahreïn) en soif de reconnaissance internationale, en passant par des basketteurs américains jouant avec le maillot de l’ex-URSS ou de la Macédoine… ce qui était auparavant qualifié de comportement exceptionnel est aujourd’hui monnaie courante, même s’il reste difficilement mesurable et localisable.

 » La naturalisation de masse »

Du côté des nations, l’intérêt semble plus qu’évident : briller sur la scène international en « dopant » leurs équipes nationales, rayonner et imposer leur « soft power » dans un monde où les conflits inter étatiques sont de plus en plus exprimés et catalysés dans des domaines d’affrontement pacifiés. S’il n’est guère surprenant que la naturalisation est le meilleur moyen pour le Qatar ou le Bahreïn d’accéder aux épreuves finales des compétitions internationales, et qu’à grandes brassées de pétrodollars les athlètes se laissent vite convaincre par la garantie de poursuivre leur carrière et leurs objectifs, il serait néanmoins restrictif de cantonner ces pratiques aux seuls pays du Golfe. A l’approche des JO de Londres, le Royaume-Uni a lui aussi dû faire face à la nécessité de créer de toute pièce des équipes dans certaines disciplines, et de fournir des athlètes dans des secteurs auparavant dépourvus.

Alors qu’auparavant les athlètes faisaient la demande de naturalisation, ils se retrouvent aujourd’hui courtisés. Qu’en est-il de leur situation ? Les cas de naturalisation par affinités semblent faire figure d’exception. Du coup, des sportifs, toutes compétitions confondues, se retrouvent à défendre les couleurs d’une nation qu’ils connaissent à peine. L’identification à un drapeau, un hymne, la symbolique de la nation et du patriotisme exacerbés par les compétitions sportives internationales se retrouvent ainsi confrontés à notre modernité : « la naturalisation de masse », dérive de la mondialisation et de l’interdépendance ? Si la réalité des flux migratoires et du melting polt actuel de nos sociétés étaient la cause de ce phénomène, il serait plus que de douteux d’émettre des jugements négatifs sans tomber dans des dérives xénophobes. Cependant, entre naturalisations   « affectives » et naturalisations « opportunistes » (que ce soit de la part de l’athlète ou du pays concerné), les nuances sont primordiales et méritent d’être soulignées.

De plus, le choix de privilégier la naturalisation à la formation, bien que parfois justifié par un réservoir d’athlètes moindre, est une vision à court terme risquée, qui néglige le potentiel des jeunes athlètes et l’avenir sportif de la nation sur le plan international.

 

Si la FIFA s’inquiète de ce phénomène de « naturalisation de masse », et si des commissions ont été mises en place pour veiller à « la conservation d’un esprit sportif sain » afin d’endiguer le problème dans le milieu du football, il n’en reste pas moins que l’absence de législation à ce sujet (nationale et européenne), ainsi que le manque de coopération et de coordination laissent libre cours à des pratiques contraires aux valeurs de l’éthique sportive, et qu’il paraît primordial de pallier au plus vite à ce vide juridique et institutionnel.





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