« Les matches truqués constituent une atteinte manifeste à l’ordre public »

 

 

Interview de Michel Platini  – Président de l’UEFA

Propos recueilli par Stanislas Froussard, le 25 novembre 2011.

 

 

Vous avez récemment participé à la réunion du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui a adopté une Recommandation aux Etats membres contre les manipulations de résultats. Vous étiez également à Cracovie, lors de la réunion informelle des ministres des sports de l’UE. Qu’est-ce qui vous motive à intervenir sur cette thématique dans des réunions intergouvernementales ?

MP : Les matches truqués, qui se développent en lien avec des activités considérables de paris en ligne, constituent aujourd’hui la plus sérieuse des menaces auquel le sport est confronté. Le nombre croissant de ces matches truqués liés aux paris est alarmant ; il l’est d’autant plus, même, que ce fléau n’épargne aucune discipline et qu’aucun pays n’en est à l’abri.
Face à cela, l’UEFA et le mouvement sportif ne sont pas restés engourdis, inertes ou attentistes. Nous avons au contraire redoublé d’efforts, d’esprit d’initiative et – je n’hésite pas à l’affirmer – de courage pour tenter d’endiguer les manipulations de résultats. Mais vous devez bien comprendre que ce fléau dépasse notre capacité d’agir car il est devenu le terrain d’élection de réseaux criminels organisés. Nous ne pouvons donc partir en croisade seuls.

 

Est-ce bien le rôle des Etats de lutter contre la triche dans le sport ? Ne serait-il pas suffisant que le mouvement sportif s’occupe de la question de manière autonome ?

MP : Certains responsables politiques prétendent en effet que l’autonomie du sport ferait ici obstacle à toute intervention des autorités publiques. C’est faux. Les matches truqués constituent une atteinte manifeste à l’ordre public et, par voie de conséquence, justifient l’intervention des autorités publiques. Ce qu’il faut au sport européen, c’est une stratégie qui repose sur l’incrimination de la fraude sportive, d’une part, et la reconnaissance du droit de propriété des organisateurs de compétitions, d’autre part.
L’incrimination de la fraude sportive permet de remédier aux lacunes des infractions classiques de blanchiment d’argent, d’escroquerie ou de corruption, dont la pertinence est ici limitée. Quant au droit de propriété, son principal mérite est qu’il implique un contrat entre l’opérateur et l’organisateur de la compétition. Ce contrat est extrêmement précieux car il peut prévoir des obligations de transparence et limiter les faits de jeu pouvant faire l’objet de paris. Bref, ce droit de propriété contribue à la protection de l’intégrité des compétitions de façon fondamentale et complète l’incrimination de la fraude sportive.
Tout récemment, les principales institutions européennes se sont faites l’écho de nos revendications. La Commission européenne, tout d’abord, dans sa communication sur le sport du mois de janvier 2011, puis dans un livre vert sur les jeux en ligne paru peu avant l’été ; le Conseil de l’Europe, ensuite, avec sa recommandation sur les matches truqués adopté le 28 septembre dernier ; le Parlement européen, enfin, avec une résolution sur les jeux en ligne du 15 novembre 2011 et le rapport sur le sport de M. Santiago Fisas.
Il faut désormais que cette volonté politique se traduise dans la réalité par des développements concrets. Les gouvernements nationaux et le législateur européen ne peuvent pas ignorer ces instruments de référence.

 

Quels sont les autres domaines dans lesquels l’UEFA souhaiterait approfondir la coopération avec les autorités publiques en Europe ?

MP : Un autre fléau demande une action, une action immédiate, c’est celui de la violence dans les stades. L’UEFA ne relâchera jamais ses efforts en pareille matière. Lors d’une récente intervention à Strasbourg, devant les Délégués des Ministres du Conseil de l’Europe, je me suis exprimé en ce sens. Main dans la main avec les autorités compétentes, nous devons bouter le hooliganisme et le racisme hors de nos stades.
Avec la crise économique qui s’abat aujourd’hui sur notre continent, je crois pouvoir dire que notre initiative dite du « Fair Play Financier » mérite plus que jamais le soutien des autorités publiques. Le « Fair Play Financier » repose sur une philosophie simple, mais pleine de bon sens : c’est que les clubs ne doivent pas dépenser plus d’argent qu’ils n’en ont. Ce sera une condition nécessaire et indispensable pour participer à la Ligue des Champions et à l’Europa League. La stabilité financière à long terme de notre sport est ici en jeu, alors nous attendons un signal politique fort des gouvernements nationaux et de l’Union européenne.
J’ai déjà eu l’occasion d’attirer l’attention des Ministres des sports sur la protection des équipes nationales, dont la pérennité est aujourd’hui menacée : plus rien ne garantit la mise à disposition des joueurs lorsqu’ils sont appelés à jouer avec leur sélection nationale. Et lorsque l’on connaît l’importance – capitale – des compétitions entre équipes nationales pour le financement du sport de masse, alors il y des grands motifs d’inquiétude. Le gouvernement espagnol l’a bien compris et a fait graver dans le marbre de sa loi nationale sur le sport une disposition qui prévoit de façon systématique la mise à disposition des joueurs en équipe nationale. Cette approche me semble profondément vertueuse et gagnerait à être généralisée à l’ensemble des Etats européens.
La bonne gouvernance de notre sport passe enfin par la définition d’un cadre juridique bien établi. Il s’agit ni plus ni moins qu’une conséquence de la « spécificité sportive ». Le développement durable du sport européen est à ce prix…

 

 





Sport et citoyenneté