Dans le cadre de la campagne électorale, Sport et Citoyenneté a présenté une série de convictions et d’orientations pour renforcer la place du sport dans la société.

Dans le prolongement de cette réflexion, notre Think tank a interrogé les candidats à l’élection présidentielle ainsi que plusieurs parties prenantes sur leur vision du sport et sa place dans le débat politique actuel. Une série d’entretiens que nous vous proposons de découvrir dans cette rubrique.


«Nous souhaitons faire du sport un réel service public avec un objectif d’émancipation individuelle et collective»

Interview de Jean-Luc Mélenchon, candidat à l’élection présidentielle 2022

Le sport occupe une place centrale dans notre société, il se situe au carrefour de nombreuses politiques publiques (santé, éducation, aménagement du territoire…), pourtant son poids politique demeure encore accessoire. Quelle est votre vision du sport et la place que vous lui donnerez si vous êtes élu Président de la République ?

JLM : La pratique sportive est au cœur du projet éducatif d’émancipation individuelle et collective que nous mettrons en œuvre. La grande popularité du sport et sa médiatisation, ainsi que les enjeux de politique éducative, diplomatique et économique dont il est porteur, lui confèrent une place centrale dans notre plan de bifurcation de la société. Ce changement profond nécessite un État résolument engagé dans l’ensemble du milieu sportif avec des objectifs d’éducation, de santé, d’accessibilité, de proximité, d’égalité femmes-hommes, d’ouverture intergénérationnelle et de fraternité. Il nécessite de mettre à contribution tou·tes les acteurs et actrices du sport sur les territoires, dans le respect de la voix de tou·tes, les usager·es, adhérent·es et licencié·es.

À rebours de la logique néo-libérale, qui sanctifie la compétition et fétichise le résultat, nous considérons le sport comme relevant d’une mission de service public. À ce titre, nous voulons définitivement sortir le sport des logiques de marché, de concurrence et de marchandisation extrême, afin de permettre à chacun·e de développer ses capacités créatrices et son estime de soi dans le respect des autres. Cette ambition n’est d’ailleurs aucunement incompatible avec un enthousiasme authentique pour les joies et beautés du spectacle sportif ; mais nous sommes convaincu·es que la réussite de champion·nes ne peut s’enraciner que dans une pratique populaire et massive.

Nous mettrons ainsi fin à la destruction du service public du sport en cours depuis de trop nombreuses années en menant une politique sportive au service de l’humain et de l’égalité d’accès aux activités physiques et sportives (APS) dans une perspective d’éducation populaire. Pour cela, le budget du sport sera augmenté à hauteur de 1% du budget de l’Etat.

Nous dénonçons la mise en place de l’ANS qui préfigure la disparition du ministère chargé des Sports, responsable de l’engagement tant stratégique que financier de l’Etat dans la politique publique nationale du sport. De même, le statut des Conseillers techniques sportifs (CTS) est menacé et leur nombre constamment réduit alors qu’ils garantissent notamment l’accessibilité de la pratique sportive sur tout le territoire, la formation des cadres et le déploiement des politiques de haut-niveau. Nous déplorons aussi la fragilité du financement du sport pour tous qui dépend essentiellement des péripéties du sport business (fiasco LFP-Mediapro) d’une part et du développement des paris sportifs d’autre part. Il est donc nécessaire de supprimer l’ANS au bénéfice d’un ministère chargé des Sports de plein exercice et d’augmenter substantiellement les effectifs des CTS. En outre, qui peut sincèrement vouloir faire du sport un outil d’insertion sociale tout en permettant le développement des paris sportifs, alors qu’ils sont très néfastes pour les jeunes et les plus défavorisés. C’est hypocrite, nous interdirons leur publicité !

En résumé, nous souhaitons faire du sport un réel service public avec un objectif d’émancipation individuelle et collective.

Notre pays traverse une crise sanitaire inédite, dont les effets demeurent encore difficiles à mesurer. Le sport a particulièrement souffert lors de cette période (impact sur le nombre de licences, sur l’engagement bénévole, sur les recettes économiques des clubs professionnels…). Quelles mesures concrètes mettrez-vous en œuvre pour relancer le sport à la rentrée 2022/2023 ?

JLM : Le sport a beaucoup souffert de la crise sanitaire, cette dernière ayant aussi révélé et accentué des problèmes déjà existants (réduction de l’engagement bénévole, dérégulation du sport professionnel, etc.).

Pour relancer le sport, il faut faire en sorte que l’accès à la pratique sportive soit un droit véritable, garanti à chacun·e, quels que soient ses revenus, son sexe, son âge, sa couleur de peau, ses convictions religieuses, son orientation sexuelle et identité de genre. Cela implique la gratuité pour les populations modestes et une réponse au manque d’équipements sportifs de proximité, vétustes pour la moitié d’entre eux et mal répartis territorialement. En effet, il est recensé en moyenne deux fois moins d’équipements par habitant·es dans les QPV et territoires ruraux qu’en France métropolitaine, ce qui crée des inégalités d’accès à la pratique sportive au détriment des classes populaires. Les 5000 petits équipements annoncés par l’actuel Président de la République n’y changeront rien. Il est urgent de mener à bien, un plan national pour la construction et la rénovation des équipements sportifs (stades, piscines et gymnases) dans le respect de normes environnementales fortes et de l’accessibilité aux personnes en situation de handicap. Nous soutiendrons aussi financièrement la création d’espaces et équipements de qualité de proximité favorables aux pratiques libres (pistes de course, de skate, sentiers de randonnée, etc.) au niveau des communes. Le sport doit être reconnu par la République comme un droit pour toutes et tous, de la même façon que les droits à la culture, à la santé, au travail ou au logement.

Ensuite, pour soutenir les associations et l’engagement bénévole, nous instituerons un statut de dirigeant·e bénévole permettant l’accès aux droits sociaux (trimestres comptabilisés dans le calcul des annuités pour la retraite, davantage de droits à la formation, etc.) et à la validation des qualifications acquises dans le cadre de leur engagement. Cette reconnaissance, couplée à la réduction du temps de travail prévue dans notre programme, favorisera un renouveau démocratique au sein du monde associatif et la féminisation des instances dirigeantes des associations et fédérations.

En outre, nous déplorons le fait qu’une partie du sport professionnel soit devenue le terrain de jeu de fonds spéculatifs et souverains et prônons au contraire un réel ancrage territorial et populaire avec notamment la retransmission en direct sur une chaîne en clair d’au moins un match par journée de chaque compétition organisée par une ligue professionnelle. Nous travaillerons à le réguler davantage en encadrant par exemple davantage le rôle des agents. De surcroît, nous favoriserons le statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) afin de penser et faire fonctionner le club comme un bien commun et impliquer ainsi l’ensemble des parties prenantes (dirigeant·es, salarié·es, supporter·ices, bénévoles, partenaires, etc.). Pour lutter contre les inégalités au niveau de la médiatisation (82 % de la couverture médiatique télévisuelle étant par exemple dédiée aux sports masculins), nous rendrons paritaire la liste des événements sportifs diffusés en clair entre sport masculin et féminin et offrirons une meilleure visibilité aux parasports et aux pratiques sous-médiatisées.

Globalement, nous pouvons dire que notre programme entier est au service de l’humain et permettra à chacun·e de bénéficier de davantage de temps libre avec un meilleur pouvoir d’achat. Les freins à la pratique sportive seront donc considérablement réduits.

Une autre crise sanitaire couve, celle liée à l’augmentation des temps sédentaires et à la baisse des niveaux d’activité physique. Comment comptez-vous traiter cet enjeu lors des cinq prochaines années ?

JLM : La baisse des niveaux d’activité physique est en effet préoccupante. Pour y mettre fin, il est nécessaire que l’activité physique devienne véritablement partie intégrante de la culture de chacun·e. En complément des mesures citées précédemment, cela passera aussi par une augmentation du nombre de professeurs d’EPS pour assurer 4h d’EPS par semaine dans l’enseignement secondaire. Au sein de l’enseignement primaire, il faudra une meilleure formation pratique et théorique des professeur·es et la création effective d’une association sportive dans chaque établissement. Bien sûr, nous fournirons à l’Union sportive de l’enseignement du premier degré (USEP) les moyens humains et fonctionnels de les faire vivre. Le déploiement de cette politique ambitieuse sera en outre possible en redonnant à la filière des STAPS les moyens de fonctionner correctement, elle qui accueille chaque année deux fois plus d’étudiant·es qu’il y a 10 ans avec seulement 15% d’enseignant·es supplémentaires.

Les activités physiques et sportives ont aussi un rôle à jouer au regard du vieillissement de la population et de l’augmentation des pathologies liées au surpoids et à l’obésité. Le sport sur ordonnance étant une hypocrisie s’il n’est pas pris en charge par la Sécurité sociale, nous mettrons en place son remboursement pour les pratiques sportives qui peuvent être utilisées comme traitement non-médicamenteux contre l’ensemble des affections de longue durée et certaines maladies chroniques comme l’hypertension artérielle ou l’obésité. Il faudra aussi reconnaître la légitimité des professionnel·les titulaires de diplômes STAPS « Activités Physiques Adaptées et Santé » comme intervenant·es de premier ordre du dispositif Sport santé/ Sport sur ordonnance et leur créer un statut particulier.

En outre, nous développerons l’offre de pratique sportive à destination des séniors et le sport en famille avec une pratique intergénérationnelle simultanée, pour permettre la pratique des familles monoparentales.

De nombreux événements sportifs internationaux seront organisés en France au cours du prochain quinquennat. Au-delà de leur impact économique, comment être sûr de réussir leur héritage social ? Êtes-vous favorable au développement d’outils permettant d’évaluer avec précision les impacts de ces événements ?

JLM : Nous soutenons l’organisation des grands événements sportifs internationaux à partir du moment où ils s’intègrent dans un projet au service de l’humain et de l’éducation populaire et où leur accueil est accepté par les populations locales. Ainsi, nous regrettons que la décision d’accueillir les JOP de Paris 2024 ait été prise de manière non-démocratique, sans consultation des citoyen·nes, qui seront pourtant les seul·es à subir les effets néfastes de l’organisation d’un tel événement. En outre, à deux ans et demi de l’événement, le constat est implacable : malgré l’utilisation majoritaire d’équipements existants, les coûts financiers (plusieurs milliards d’euros d’argent public) mais aussi sociaux et écologiques sont importants et nuisent aux territoires concernés, en premier lieu le département de la Seine-Saint-Denis.

Considérant l’enjeu diplomatique que représente l’organisation de ces Jeux olympiques et paralympiques ainsi que les investissements déjà effectués, il paraît aujourd’hui impossible de remettre en cause leur tenue même si nos critiques restent d’actualité. Mais nous les soumettrons à un cadre écologique et social bien plus exigeant qu’il ne l’est actuellement. Ainsi, nous abrogerons la loi d’exception dite « loi olympique » qui permet au Comité d’organisation de bénéficier de nombreuses dérogations au droit commun, notamment au droit environnemental et de l’urbanisme. Elle autorise ainsi la construction d’infrastructures anti-écologiques (destruction des Jardins d’Aubervilliers, échangeur autoroutier Pleyel, etc.), et déroule le tapis rouge aux multinationales qui pourront s’afficher sur les bâtiments de Paris, monuments classés, bâtiments historiques, etc. pendant plusieurs mois. De même, nous veillerons à ce que les habitations et infrastructures prévues dans le cadre de l’héritage des JOP servent bien les populations actuelles des territoires concernés et ne soient pas mises au service de leur gentrification au moyen de l’augmentation des prix du logement.

Ainsi, alors que l’organisation des JOP de Paris en 2024 est aujourd’hui le prétexte à la mise en place d’une politique ultra-élitiste, abandonnant le sport pour tous et la diversification des pratiques, ils seront un point d’étape dans le projet émancipateur que nous portons qui permettra à chacun·e de développer ses capacités créatrices et son estime de soi dans le respect des autres et de la nature.

Nous sommes donc bien sûr favorables au développement d’outils permettant d’évaluer avec précision les impacts des grands événements que la France va accueillir (JOP 2024, Coupe du Monde de Rugby 2023, Championnats du Monde de ski alpin 2023, Coupe du Monde de Rugby à XIII). Nous créerons aussi à chaque fois un comité de vigilance et de suivi regroupant des représentant·es de l’État et des collectivités territoriales concernées, des expert·es et acteur·ices du sport associé·es à des citoyen·nes, des supporter·ices et des spectateur·ices tiré·es au sort sur une base volontaire pour comparer les annonces aux réalisations effectives et donner des orientations.

Enfin, le sport contribuant au rayonnement diplomatique de la France et de la francophonie, l’échange de savoir-faire entre les fédérations sportives doit être soutenu. De plus, nous reconnaîtrons la participation des sportif.ves de haut-niveau à la promotion de l’excellence française en sécurisant leur situation économique avec l’attribution d’un salaire et la garantie d’un emploi en dernier recours en fin de carrière sportive.

Vous pouvez retrouver le détail de notre projet et de nos 60 propositions pour le sport ici :

https://melenchon2022.fr/livrets-thematiques/sport/.





Sport et citoyenneté