L’obligation d’honorabilité des éducateurs sportifs et son contrôle

Par Colin MIEGE, président du comité scientifique de sport et et Citoyenneté

Entraineur de basket avec enfants

 

Pendant longtemps, seuls les éducateurs sportifs rémunérés ont été soumis à une obligation d’honorabilité. Mais la révélation d’un grand nombre d’agressions à caractère sexuel dans le monde du sport, à la suite du témoignage de la patineuse Sarah Abitbol en 2020[1], a conduit le ministère chargé des sports à mettre une place une cellule dédiée, qui a enregistré de multiples signalements[2]. En conséquence, il est apparu nécessaire d’étendre l’obligation légale d’honorabilité à la grande masse des éducateurs sportifs bénévoles, tout en élargissant la liste des délits susceptibles de faire obstacle à l’exercice des fonctions.

 

Qui sont les éducateurs sportifs concernés ?

Le code du sport donne une définition « historique » de l’éducateur sportif à travers son article L.212-1 qui impose une qualification pour l’exercice de fonctions rémunérées. Ainsi, « seuls peuvent, contre rémunération, enseigner, animer ou encadrer une activité physique ou sportive ou entraîner ses pratiquants, à titre d’occupation principale ou secondaire, de façon habituelle, saisonnière ou occasionnelle,(…), les titulaires d’un diplôme, titre à finalité professionnelle ou certificat de qualification (…) ».

Toutefois, le même code a étendu l’obligation d’honorabilité à tous les éducateurs sportifs, qu’ils exercent à titre rémunéré ou bénévole, soit près de 2 millions de personnes[3].

Le ministère des sports a publié un guide relatif au contrôle d’honorabilité, qui définit le périmètre des personnes soumises à cette obligation, en indiquant  que « toute fonction, exercée à titre rémunéré ou bénévole, d’entraînement, d’enseignement, d’animation ou d’encadrement d’une activité physique et sportive, à titre principal ou secondaire, de façon habituelle, saisonnière ou occasionnelle est interdite auprès de tous publics, mineurs ou majeurs, aux personnes ayant fait l’objet d’une condamnation d’un crime ou d’un délit visés à l’article L. 212-9 du code du sport (…). L’éducateur sportif peut ainsi être qualifié d’entraîneur, de moniteur, de coach, de prévôt, de manager ou de préparateur physique ; la dénomination retenue dans chaque discipline est sans incidence sur l’obligation d’honorabilité. De même, la notion d’éducateur sportif n’est pas directement liée à la détention d’un diplôme ou d’un brevet fédéral. Un licencié peut exercer des fonctions d’éducateur, y compris si ses interventions sont très ponctuelles ou aléatoires ; – sont réalisées uniquement auprès des majeurs ; – ne nécessitent pas de diplôme ou de brevet fédéral ; – se limitent à la gestion ponctuelle d’un groupe lors d’un match, d’un entraînement ou d’un stage ».

Il convient de souligner par ailleurs que l’obligation d’honorabilité s’applique aussi aux exploitants des établissements d’activité physique et sportive (EAPS). En effet, le code du sport indique que « nul ne peut exploiter (…), un établissement dans lequel sont pratiquées des activités physiques ou sportives s’il a fait l’objet d’une condamnation prévue à l’article L. 212-9 »[4]. Mais comme il ne donne pas de définition précise de ce qu’est un établissement d’APS, le guide du ministère des sports précité y pourvoit, en indiquant qu’« un EAPS est une entité qui organise la pratique d’une activité physique ou sportive, ce qui recouvre notamment tous les clubs de sport, les loueurs de matériels sportifs qui organisent la pratique, les centres de vacances ou de loisirs proposant principalement des activités sportives. Ainsi, un exploitant d’EAPS est une personne responsable, en droit ou en fait, de l’organisation de l’établissement (du club). Toutes les personnes titulaires d’un mandat social (c’est-à-dire tous les élus) entrent dans cette catégorie, comme les salariés ou les bénévoles chargés de l’organisation générale et, à ce titre, habilités à prendre les décisions nécessaires, en particulier en cas de mise en danger des pratiquants au sein de l’établissement ».

Comme on le voit, le périmètre des personnes concernées est très large, puisque sont concernés  tous les éducateurs sportifs ou les dirigeants sportifs, qu’ils exercent à titre rémunéré ou de façon bénévole. Toutefois, la transmission intentionnelle par une fédération de l’identité d’un licencié qui ne relèverait pas du périmètre légal du contrôle d’honorabilité engagerait directement sa responsabilité pénale. Ce périmètre est donc strictement balisé.

 

Quels sont les crimes et délits faisant obstacle à l’exercice des fonctions d’éducateur sportif ou de responsable d’établissement d’APS ?

L’article L. 212-9 du code du sport comporte une longue liste de crimes et délits qui s’opposent à l’exercice des fonctions, et qui concrétise l’obligation d’honorabilité. Ces infractions sont mentionnées aussi bien dans le code pénal, le code du sport, le code de la route, le code de la santé publique que dans le code de la sécurité intérieure[5]. On ne saurait ici les citer toutes, et on se bornera à mentionner les atteintes volontaires et involontaires à la vie des personnes, la mise en danger de la personne, l’atteinte aux libertés ou à la dignité de la personnes, l’extorsion ou le détournement, les crimes et délits contre la Nation, la conduite de véhicule sous stupéfiant et le refus de contrôle, le trafic d’armes, mais aussi le dopage ou l’introduction de boisson alcoolisées dans une enceinte sportive, sans omettre les menées à caractère terroriste. Il convient de noter que les personnes empêchées doivent avoir fait l’objet d’une condamnation en justice.

 

Les modalités de mise en œuvre du contrôle d’honorabilité

Le code du sport indique que « Les personnes soumises aux dispositions de l’article L. 212-9 sont informées par les fédérations sportives qu’elles peuvent faire l’objet d’un contrôle portant sur le respect de leur obligation d’honorabilité. Ce contrôle est réalisé par les services de l’Etat dans le cadre des dispositions du code de procédure pénale. A cette fin, les fédérations sportives recueillent les informations suivantes relatives à l’identité des personnes concernées : le nom, le prénom, la civilité, la date et le lieu de naissance »[6].

La procédure de transmission de ces informations ainsi précisée: « Les fédérations sportives transmettent les informations relatives à l’identité des personnes concernées aux services de l’Etat afin de permettre à ces services de contrôler le respect par ces personnes de leurs obligations d’honorabilité », et d’opérer les vérifications nécessaires pour s’assurer qu’elles ne méconnaissent pas, le cas échéant, les mesures prises à leur encontre. Lors de la transmission des données personnelles, les fonctions d’éducateur sportif et/ou les fonctions d’exploitant d’EAPS doivent être distinguées. Les informations recueillies sont déposées sur la plateforme dédiée dénommée «SI Honorabilité». Elles permettent aux services habilités de l’État de vérifier le cas échéant que les personnes ne figurent pas au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (FIJAISV). A noter que les fédérations n’ont pas d’accès à ce fichier.

Conséquences pratiques

Incompatibilité révélée

Si une condamnation incompatible avec les fonctions exercées est décelée, les services départementaux de l’Etat notifient son incapacité à la personne contrôlée, et la fédération est informée par la direction des sports, afin qu’elle en tire les conséquences disciplinaires et/ou administratives.

Non respect de la déclaration en vue du contrôle d’honorabilité

– Les fédérations sportives doivent informer expressément leurs licenciés soumis à l’obligation de déclaration qu’ils peuvent fait l’objet d’un contrôle automatisé de leur honorabilité et des conséquences en cas de condamnation incompatible avec les fonctions exercées. La responsabilité de la fédération et/ou celle du président du club pourrait être engagée pour défaut d’information préalable et/ou de transmission des données.

– L’éducateur sportif, le dirigeant ou l’exploitant qui refuse que ses données soient communiquées en vue d’un éventuel contrôle par les autorités habilitées s’exclut de lui-même de ses fonctions.

Les exigences additionnelles du contrat d’engagement républicain

L’article 12 de la  loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République dispose que « toute association ou fondation qui sollicite l’octroi d’une subvention (…) auprès d’une autorité administrative (…) s’engage, par la souscription d’un contrat d’engagement républicain :

1° à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République au sens de la Constitution ;

2° à ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République ;

3° à s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public”.

Toutes les associations sont donc concernées, y compris les associations sportives.

Le décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021 pris pour l’application de la loi a précisé la nature du contrat d’engagement républicain que doivent respecter les associations bénéficiant de subventions publiques ou d’un agrément de l’État. Il comporte les sept engagement suivants, qu’on se contentera de citer :

  1. Respect des lois de la République
  2. Liberté de conscience
  3. Liberté des membres de l’association
  4. Égalité et non-discrimination
  5. Fraternité et prévention de la violence
  6. Respect de la dignité de la personne humaine
  7. Respect des symboles de la République

Ces exigences d’ordre général doivent être portées à la connaissance des licenciés, et les dirigeants sportifs s’engagent à les faire respecter au sein de leurs structures respectives.

 

En conclusion, on peut observer que si les prescriptions relatives à l’honorabilité et au respect du contrat républicain sont inspirées par des motifs légitimes de préservation de l’ordre social et moral, elles constituent autant d’injonctions dont l’addition finit par peser sur le bénévole, au risque d’engendrer une certaine désaffection.


[1]La patineuse a relaté dans un ouvrage intitulé « Un si long silence » un viol à l’âge de 15 ans par son entraîneur, ainsi que l’inertie de la fédération des sports de glace, ce qui suscité la démission de son président, D. Gailhaguet.

[2]Via l’adresse signal-sports@sports.gouv.fr. De surcroît, le ministère des sports préconise d’engager une procédure administrative via les services territoriaux de l’Etat afin de vérifier la réalité des faits, et de saisir le procureur de la République sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale.  La cellule ministérielle mise en place a enregistré à ce jour plus de 600 signalements.

[3] Code du sport, article L. 212-9 : « Nul ne peut exercer les fonctions mentionnées à l’article L. 212-1 à titre rémunéré ou bénévole, ni intervenir auprès de mineurs (…) s’il a fait l’objet d’une condamnation pour l’un des délits prévus par l’un des codes suivants : (…) ».

[4]Code du sport, article L.322-1.

[5]La dernière version de cet article L. 212-9 résultant de la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République.

[6] Code du sport, articles D 131-2 et D131-2-1.

 

Pour aller plus loin

Du même auteur:

Comment mieux prévenir les « comportements déplacés » des dirigeants sportifs ?

Charte d’éthique et de déontologie du CNOSF :en progrès, mais peut mieux faire

 

Revue Sport et Citoyenneté 54: Prévenir les violences sexuelles et protéger les publics

 





Sport et citoyenneté