« Plus que jamais, le Tour de France se devait d’être utile »

Situation sanitaire oblige, le Tour de France a été contraint de décaler de quelques semaines son grand départ. Au-delà de sa dimension sportive, cette édition se place plus que jamais sous le signe de la solidarité et de la responsabilité, comme le détaille Jean-Baptiste Durier, Directeur R.S.E d’Amaury Sport Organisation.

Propos recueillis par Sylvain Landa

Photo de Jean-Baptiste Durier

La plupart des grands événements sportifs prévus au printemps et à l’été 2020 ont été annulés ou repoussés. Comment avez-vous géré cette situation et était-ce important que le Tour se tienne cette année, malgré tout ?

JBD : Nous avons tous traversé une période de saisissement début mars, lorsque le confinement a été annoncé. En tant que professionnel de l’événementiel sportif, A.S.O a été particulièrement touché. Nous avons, par exemple, dû annuler la 28e édition de l’Harmonie Mutuelle Semi de Paris la veille de son départ !

En ce qui concerne le Tour de France, l’idée du report a très vite été abordée. Il faut d’abord souligner la qualité et l’efficacité de la collaboration de l’écosystème du cyclisme qui a permis somme toute rapidement de se projeter sur un nouveau calendrier 2020, dont le Tour de France est la pierre angulaire. Une fois cette nouvelle date connue, toutes les équipes d’A.S.O. qui travaillent sur le Tour se sont mises en mode commando pour réussir l’exploit opérationnel de décaler l’événement, déjà une sacrée gageure en soit. Il faut aussi noter que ce report n’aurait pas été possible sans l’engagement à nos côtés et la détermination des services de l’état, collectivités-hôtes, diffuseurs, partenaires….

Le Tour de France est un monument du patrimoine français. Seule la guerre mondiale, à deux reprises, a empêché sa tenue. C’était donc à la fois symbolique que le Tour ait lieu, mais aussi nécessaire d’un point de vue économique pour le cyclisme car beaucoup d’équipes auraient été en grande difficulté si cela n’avait pas été le cas.

Dans ce contexte, et en restant résolument humbles par rapport à l’incertitude du déroulé de ces trois semaines au regard du contexte sanitaire, le fait que le Tour soit parti le 29 août est déjà une belle victoire en soi. Et ça fait du bien de ressentir la joie et l’enthousiasme de tous les amoureux de la Grande Boucle.

Le Tour de France a connu deux départs cette année, puisque le 27 juin dernier s’élançait le Tour de France Solidaire. En quoi consiste cette opération, qui perdure jusqu’au 20 septembre ?

JBD : Nous traversons une période de turbulences, sur le plan sanitaire, économique et social. Le Tour de France se devait, plus que jamais, d’être utile. Alors que le Tour est engagé depuis longtemps dans la promotion de la mobilité à vélo, axe prioritaire de sa politique RSE, nous avons donc naturellement décidé en cette année si difficile, de soutenir plusieurs associations qui utilisent, à différent titre, le vélo comme une forme de réponse à la crise sanitaire. Du samedi 27 juin, date à laquelle les coureurs devaient initialement prendre le départ de Nice au dimanche 20 septembre prochain, lorsque l’arrivée finale de la 107e édition sera jugée sur les Champs-Élysées, plusieurs opérations sont organisées, mettant en lumière l’utilité sociale du vélo.

 Un objectif de 5000 vélos revalorisés avec Emmaüs

Cette opération vise notamment la collecte, la réparation et le réemploi des vélos, au profit des plus modestes. Depuis le 27 juin, combien de vélos ont été revalorisés de cette façon ?

JBD : La collecte et le réemploi des vélos est en effet un marqueur fort de ce dispositif.

Dans cette idée de favoriser l’économie circulaire, nous avons monté l’opération « Un vélo pour tous » avec Emmaüs. L’objectif d’ici la fin du Tour est de collecter 5000 vélos laissés à l’abandon et à leur offrir un avenir en versant 30€ par vélo collecté à Emmaüs, qui se charge de leur réparation. A ce jour, plus de 3 500 vélos ont déjà été collectés.

Par ailleurs, depuis plus de dix ans, nous travaillons avec le Secours Populaire français, dont les opérations habituelles en direction des jeunes ont été perturbées par la crise sanitaire. Toutefois, une trentaine de « Journées bonheur à vélo » parrainées par le Tour ont été organisées, au profit de plus de 500 enfants. Il s’agit de moments de découverte et d’apprentissage du vélo, accompagnés d’un très beau cadeau, puisque les vélos sont offerts aux enfants.

Enfin, nous avons renforcé significativement notre partenariat avec l’association sud-africaine Qhubeka. Chaque année, le Tour offre 176 vélos (soit le nombre de coureurs du peloton du Tour) à des enfants éloignés de leur école. Cette année, l’association a mis en place le programme « Heroes on bikes », destiné à équiper des soignants et travailleurs sociaux de quartiers défavorisés, impliqués dans la lutte anti-Covid 19, et changer concrètement leur quotidien. Pour soutenir cette action, le Tour prend directement à sa charge près de 1000 vélos.

Ces quelques exemples illustrent notre ambition de rendre le Tour le plus utile possible. Dans ce sens, des appels aux dons au profit de nos associations partenaires sont aussi régulièrement relayés sur France Télévisions pendant le direct.

 

L’usage du vélo a été fortement promu pendant et après le confinement, et le besoin de mobilité douce n’a jamais été autant au centre des préoccupations. Comment le Tour de France contribue-t-il à cet enjeu ?

JBD : Notre volonté est de générer un impact positif et d’agir concrètement avec le Tour de France en faveur de la mobilité à vélo. Nous voulons inspirer toutes celles et ceux qui le peuvent à mettre du vélo dans leur quotidien. Et le réservoir est important !

La part modale du vélo dans les déplacements n’est que de 4% en France, alors que 60% des déplacements que l’on effectue ne dépasse par les cinq kilomètres, soit l’équivalent de 20 minutes à vélo !

Le Tour s’engage pleinement sur ce défi et se veut une force motrice pour emmener ses parties prenantes dans sa roue.

Concrètement, ce sont par exemple près de 8 000 écoliers initiés à la pratique du vélo avec la Ville de Nice en marge du Grand Départ, ou 6 500 diplômes d’apprentissage délivrés à des enfants sur nos fans park l’an dernier. A partir de 2021, 10 000 enfants seront également formés chaque année par la Fédération Française de Cyclisme via le programme « savoir-rouler à vélo », grâce à un financement issu du Tour.

Nos partenaires s’engagent aussi dans cette voie, à l’image de l’opération « Vivons vélo AG2R », qui vise à transformer les kilomètres parcourus en dons pour l’Institut Pasteur ou encore « l’opération des casques » de LCL, qui soutient les jeunes cyclistes en mettant à leur disposition des accessoires utiles à la pratique du vélo.

Cet engagement du Tour déjà important en faveur de la mobilité à vélo sera encore renforcé significativement dans les années à venir.

En 2020, trois millions d’emballages auront été supprimés

L’environnement s’est imposé comme un enjeu crucial ces derniers mois, comme en témoignent les résultats des élections municipales dans plusieurs grandes villes françaises. Le Tour de France est régulièrement pointé du doigt sur ce plan. Qu’est-ce qui est mis en place pour limiter l’empreinte écologique du Tour ? Que répondez-vous à ceux qui estiment que le Tour de France, dans la configuration que l’on connaît, pollue encore trop ?

JBD : Le Tour est un événement sportif international de tout premier plan, une fête populaire exceptionnelle, un monument du patrimoine qui fait la promotion de notre magnifique pays dans le monde entier, C’est un vecteur de promotion touristique exceptionnel, qui génère par ailleurs des retombées économiques directes importantes pour les collectivités-hôtes. Le nombre de candidatures pour l’accueillir est toujours très impressionnant.

Ceci posé, toute manifestation génère une empreinte carbone. Nous travaillons activement depuis plus de dix ans pour limiter celle du Tour de France. Il est naturel et sain d’être questionné. Il s’agit d’un sujet complexe, sur lequel nous avançons de manière concrète. Nous le faisons avec beaucoup d’humilité et de sincérité.

Le Tour de France est le plus grand événement hors stade au monde, qui s’inscrit dans un environnement somptueux, la France. Il est de notre devoir et de notre responsabilité de préserver ce cadre. C’est pourquoi le Tour de France a été parmi les premiers signataires de la Charte des 15 engagements écoresponsables mise en place par le ministère des Sports et WWF France. Cette charte engage ses signataires à atteindre des objectifs tangibles sur les plans sociaux et environnementaux. Par exemple, nous agissons depuis plusieurs sur la protection de la faune et de la flore. Nous nous engageons par exemple à respecter les études d’incidence et à protéger les zones Natura 2000 traversées lors du parcours. En 2020, 115 zones sont concernées. Cela peut aboutir à des adaptations ponctuelles très concrètes, comme le non-survol de certaines zones, l’extinction sonore des animations de la caravane du Tour ou la non-distribution de cadeaux.

Sur les déchets autour de notre programme « C’est mon Tour, je trie », neuf coordinateurs sont présents sur le Tour en permanence. Au niveau des emballages, 100% des gobelets Vittel et Senseo du village départ sont recyclés et valorisés. Nous avons aussi supprimé par exemple les coupes de champagnes en plastique à usage unique.

Nous avons décidé cette année d’accélérer sur deux enjeux :

  • Le transport, avec la mise en place d’un plan de mobilité durable. Sur cette édition, 100% des véhicules Škoda de l’organisation en course sont par exemple des véhicules hybrides rechargeables. C’est une première pierre. Dans le même sens, l’emblématique voiture rouge n°1 de Christian Prudhomme sera un véhicule électrique, le Skoda Enyaq iV, sur trois étapes de cette édition 2020. Nos partenaires sont pleinement engagés à nos côtés avec par exemple ENEDIS, avec trois véhicules électriques dans sa caravane. Dans la même veine, le transporteur officiel du Tour de France, XPO Logistics, testera pour la première fois cette année en fin de Tour des camions au GPL. Nous continuerons de déployer ce plan de mobilité durable dans les éditions à venir.
  • Le plastique, avec l’adoption d’un plan plastique en lien avec la caravane du Tour. D’abord en interdisant tous les suremballages et les emballages plastiques, à l’exception de l’échantillonnage de produits présentant des contraintes d’hygiènes spécifiques (comme les échantillons alimentaires). Et même dans ces cas, nous encourageons nos partenaires à proposer des solutions innovantes (emballage papier ou recyclé), à l’image de ce que fait E. Leclerc cette année après un an de R&D spécifique. Le Tour leur sert de banc d’essai. En 2020, nous aurons ainsi supprimé trois millions d’emballages sur le Tour de France. Ce sont des résultats tangibles.

Les cadeaux en plastique à usage unique sont également prohibés. Et nous encourageons chaque partenaire à proposer des cadeaux éco-responsables, ce que font d’ores et déjà nombre d’entre eux. Les marques sont très réceptives quand on sait que 85% des Français estiment que le critère écologique est important dans le choix d’un objet publicitaire.

 

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