Une loi de démocratisation du sport a minima

 

Colin MIEGE

 

Président du Comité Scientifique, Think tank Sport et Citoyenneté

 

 

Ceux qui dénoncent la tendance du législateur au bavardage apprécieront la brièveté de la proposition de loi « visant à démocratiser le sport en France » déposée par un groupe de parlementaires de la majorité fin janvier 2021 : elle ne comporte en effet à ce stade que douze articles. En revanche ceux qui escomptaient la grande loi « Sport et société » annoncée par le gouvernement dès 2017 devront attendre des jours meilleurs[1]. On ne cherchera pas à analyser ici les causes de ce renoncement, entre l’encombrement de l’agenda parlementaire, la prééminence de la gestion de la crise sanitaire, ou le souci d’éviter tout sujet de discorde. On se focalisera plutôt sur la portée des mesures significatives de la proposition de loi, tout en identifiant les sujets qui auraient mérité aussi d’être traités.

 

Démocratiser a minima l’accès au sport, mais aussi la gestion de ses instances dirigeantes

Si l’exposé des motifs de la proposition de loi est centré sur les bienfaits de la pratique sportive et sur le constat d’un déficit global, seul son titre I et ses quatre premiers articles sont dédiés au développement de la pratique pour le plus grand nombre. Il s’agit en premier lieu d’intégrer le sport dans les missions des établissements sociaux et médico-sociaux, et d’en faire bénéficier la population fragile qui y est accueillie, dans une optique de sport-santé. L’intérêt de cette mesure ne saurait masquer le fait qu’elle concerne une fraction limitée de nos concitoyens, et que son effectivité reste conditionnée aux financements mobilisables.

L’article 2 vise à aménager l’accès aux équipements sportifs scolaires pour les utilisateurs extérieurs, principalement les associations sportives. Cette disposition concerne en pratique les collèges et lycées, car elle est déjà en vigueur pour les écoles du premier degré. La création d’un « accès permettant leur utilisation indépendante » devrait nécessiter des travaux spécifiques, mais aussi des dispositifs de surveillance. Elle semble de nature à compenser en partie le déficit d’équipements sportifs accessibles au plus grand nombre.

L’article 3 prévoit la possibilité pour les collectivités du bloc communal d’élaborer des plans sportifs locaux associant tous les acteurs locaux[2] . Ces plans sportifs locaux peuvent « nourrir les diagnostics territoriaux réalisés dans le cadre des conférences régionales du sport », dont les missions sont complétées à l’article 4 par l’ajout du sport-santé et les savoirs sportifs fondamentaux (tels que savoir nager ou savoir rouler à vélo)[3]. L’effectivité de ces deux dernières dispositions, de nature administrative, reste largement dépendante de la capacité des collectivités locales à dépasser leurs divisions pour mettre en œuvre des projets sportifs territoriaux opérationnels, malgré la lourdeur du dispositif[4].

Renouveler la gouvernance des fédérations

Le titre II de la proposition de loi est relatif au renouvellement de la gouvernance des fédérations et comporte lui aussi quatre articles. Le premier (art. 5) instaure la parité intégrale au sein des instances nationales et déconcentrées des fédérations[5]. Le suivant modifie les modalités d’élection à la présidence et au conseil d’administration de la fédération, en imposant que l’assemblée générale soit composée à 50% au moins de représentants des clubs affiliés. L’article 7 limite à trois les mandats à la présidence d’une fédération ou de ses organes déconcentrés. Enfin l’article 8 étend aux membres élus des instances dirigeantes les obligations légales de déclaration de situation patrimoniale et de déclaration d’intérêts déjà applicables au président du CNOSF. Il étend aussi le contrôle d’honorabilité déjà applicable aux éducateurs sportifs en vertu de l’article L 219-9 du code du sport à la profession de maître-nageur sauveteur ainsi qu’à toute personne « intervenant dans l’encadrement d’un ou plusieurs pratiquants dans un établissement d’activités physiques ou sportives ». Ces mesures, qui consistent pour l’essentiel à renforcer des dispositions déjà existantes, sont certes intéressantes, mais on ne peut considérer qu’elles modifient significativement le mode de gouvernance des fédérations sportives.

Lutte contre la manipulation des compétitions sportives et évolutions juridiques

Le titre III comporte quelques dispositions relatives au modèle économique du sport.

La première vise à inscrire dans la loi la plateforme de lutte contre la manipulation des compétitions sportives. Cette plateforme, qui résulte d’un accord national établi en janvier 2016, regroupe les représentants des ministères chargés de la justice, de l’intérieur, des finances, des sports, ainsi que de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), de la Française des Jeux, du CNOSF et des acteurs du mouvement sportif professionnel. Sa mise en place a répondu aux préconisations établies par la convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives de 2014[6]. Les dispositions prévues par la loi ne font qu’entériner les modalités du fonctionnement actuel de la plateforme, qui est placée sous la présidence du ministre chargé des sports, tout en les complétant sur certains points.

L’article 10 vise à lutter contre la retransmission illicite des manifestations sportives[7]. Ce très long article, supposé compléter le code du sport, n’est pas rédigé dans une forme juridique. Il confie un rôle central au président du tribunal judiciaire qui pourrait être saisi par le titulaire des droits exclusif, la ligue sportive professionnelle ou l’opérateur de communication qui s’estimeraient lésés. En l’état, cet article n’est pas insérable dans le code du sport.

Quant à l’article 11, rédigé de façon lapidaire, il permet aux sociétés sportives de se constituer sous la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), à laquelle les collectivités locales peuvent participer. L’accès des sociétés sportives au modèle de l’économie sociale et solidaire correspond de fait à une pratique déjà en cours[8]… Enfin l’article 12 prévoit de financer les dépenses résultant de ces mesures législatives par une majoration des taxes sur le tabac.

Des visées sociétales largement perdues de vue

Si cette proposition de loi comporte des dispositions qui semblent opportunes, la plupart d’entre elles correspondent à des ajustements, et ne traduisent pas une vision renouvelée de la place du sport dans la société. L’objectif de démocratisation du sport paraît dès lors quelque peu usurpé, car l’on voit mal comment les dispositions prévues pourraient contribuer effectivement à amener à la pratique sportive les populations qui en sont éloignées (hormis peut-être l’ouverture de l’accès aux équipements scolaires existants et à venir). Pour mémoire, une proposition de loi présentée en 2019 prévoyait l’instauration du 1% sportif sur le modèle du 1% culturel, qui aurait contraint tout maître d’ouvrage public à intégrer un équipement sportif à sa nouvelle construction. Elle envisageait aussi de relever le plafond des taxes affectées à l’Agence nationale du sport, qui est devenue au niveau central le principal financeur des associations sportives.

Avec la crise sanitaire qui se prolonge et dont on n’entrevoit guère l’issue, la désaffection pour les associations sportives est devenue une réalité, qui se traduit par des non-renouvellements de licences allant de 10 à 30%, voire plus. Si l’érosion devait se confirmer, le pari d’accroître le nombre de pratiquants de trois millions d’ici 2024 serait en passe d’être perdu. Dans ce contexte, l’impératif de démocratisation des pratiques sportives et d’ouverture au plus grand nombre demeure plus que jamais d’actualité.

Réuni en congrès début 2021, le CNOSF a approuvé les dispositions de la proposition de loi, tout en formulant des propositions complémentaires à soumettre aux parlementaires en vue d’une éventuelle intégration par voie d’amendement[9]. Reste à voir celles qui seront retenues, dans l’hypothèse où l’examen de la proposition de loi parvient à son terme.

Renouveler la gouvernance des fédérations, vraiment ?

S’agissant du « renouvellement de la gouvernance des fédérations », on aura du mal à admettre que les quelques mesures de la proposition de loi, aussi opportunes soient-elles, suffisent pour y parvenir. A nos yeux, les exigences en matière de déontologie applicables au mouvement sportif restent trop faibles, d’autant que ses responsabilités ont été notablement accrues dans la période récente, avec sa participation à une gouvernance partagée au sein de l’Agence nationale du sport. Selon l’article L141-3 du code du sport, « le Comité national olympique et sportif français veille au respect de la déontologie du sport définie dans une charte établie par lui ». Tout en respectant le principe d’autonomie du mouvement sportif, la loi devrait prévoir l’intervention des pouvoirs publics dans la définition des obligations de cette charte, car le sport est un bien public[10].

Pour une refonte du code du sport

Plus globalement, la démarche qui consiste à modifier à la marge le code du sport a atteint ses limites. D’une part en effet, la cohérence d’ensemble pâtit des ajouts successifs introduits depuis plusieurs décennies. D’autre part, la réforme majeure opérée en 2019 avec la création de l’Agence nationale du sport a redistribué largement les compétences entre les acteurs, et la rédaction actuelle du code ne reflète que très imparfaitement le nouvel équilibre, car elle continue à acter une prééminence de l’État, que ce dernier a de facto abandonnée. Autrement dit, une large refonte du code du sport s’impose désormais, pour des raisons d’abord juridiques. Elle offrirait aussi l’occasion d’introduire des dispositions ambitieuses en faveur du sport et des activités physiques, que beaucoup s’accordent à reconnaître comme l’un des remèdes privilégiés pour réparer les dégâts individuels et collectifs causés par la crise sanitaire, dont on commence seulement à mesurer l’ampleur.

[1] En 2017, le président de la République exprimait sa volonté « que le sport puisse prendre une place essentielle de notre projet de société », tandis que la ministre des sports de l’époque Laura Flessel annonçait un projet de loi « pour le développement du sport dans la société », en affichant l’objectif d’accroître de trois millions le nombre de pratiquants en France, et de doubler le nombre de médailles obtenues aux Jeux olympiques.

[2] Les acteurs locaux sont listés comme suit : « collectivités, associations, mouvement sportif, acteurs économiques, acteurs de la santé, établissements scolaires, professionnels du secteur de l’activité physique adaptée et établissements accueillant des personnes en situation de handicap » (proposition de loi, art. 3).

[3] Ces missions s’ajoutent à la liste déjà étoffée des sujets inclus dans le projet territorial que chaque conférence régionale du sport doit élaborer, aux termes de l’article L112-24 du code du sport.

[4] Ce dispositif territorial, instauré par la loi du 1er août 2019 et le décret du 20 octobre 2020, commence à se mettre en place dans les régions, et n’a pu encore démontrer son adéquation.

[5] L’article L131-8 du code du sport prévoit actuellement que lorsque la proportion de licenciés de chacun des deux sexes est supérieure ou égale à 25%, les statuts des fédérations agréées doivent prévoir dans les instances dirigeantes une proportion minimale de 40% des sièges pour les personnes de chaque sexe. Lorsque la proportion de licenciés d’un des deux sexes est inférieure à 25%, la proportion de sièges pour les personnes de chaque sexe ne peut être inférieure à 25%.

[6] Cette convention du Conseil de l’Europe dite de Macolin, bien que signée le 9 juillet 2014, n’est entrée en vigueur que le 1er septembre 2019. Elle prévoit notamment la mise en place de plateformes nationales chargées de coordonner la lutte contre la manipulation des manifestations sportives (art. 13). A noter que la France l’a signée mais ne l’a toujours pas ratifiée.

[7] Aussi qualifiée de « streaming illégal ».

[8] Ainsi le Sporting Club de Bastia a déjà opté pour ce statut.

[9]Parmi ces propositions figurent notamment l’inscription dans le code de l’éducation que la pratique du sport à l’école contribue au développement cognitif, corporel et psychologique ainsi qu’au bien-être de l’enfant ; l’obligation de créer une association sportive dans tous les établissements scolaires du premier degré ; la création par la loi d’un parcours sportif global favorisant les complémentarités entre EPS, sport scolaire et activités sportives en association; la possibilité pour les sportifs de haut niveau victimes de blessures dans le cadre de la pratique de leur sport, de bénéficier d’indemnités en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle ; la création d’un véritable statut de « reconversion » pour les sportifs de haut niveau ; l’instauration du remboursement du sport sur ordonnance par le régime général de la sécurité sociale pour l’ensemble des affections de longue durée pour lesquelles le sport peut être utilisé comme traitement non-médicamenteux ; la présence d’un représentant de l’ARS dans les conférences régionales du sport pour renforcer les liens entre les acteurs de la santé et du sport ; la création d’une commission des athlètes de haut niveau dans toutes les fédérations délégataires, ou encore la création d’un programme de détection et d’accompagnement des dirigeants de demain.

[10] Nonobstant le fait que le contenu actuel de la charte, fixé par le CNOSF en 2012, est notablement insuffisant.





Sport et citoyenneté