Sport et patrimoine culturel immatériel : des patrimoines vivants ?

Chercheuse à l’Université de Pau spécialisée sur les processus de patrimonialisation, Mathilde Lamothe nous éclaire quant à la relation peu connue entre patrimoine immatériel et sport.

Portrait de Mathilde Lamothe (2)Un sport peut-il être un patrimoine ? À l’inverse comment le patrimoine, souvent entendu dans sa dimension monumentale, architecturale ou liée aux beaux-arts, peut-il inclure une facette sportive ? Reposant sur une apparente antinomie, les champs du patrimoine et du sport suscitent une réflexion sur les liens qu’ils entretiennent en dépassant le schéma binaire classique tradition/modernité. Pourtant la culture sportive et, a fortiori, la culture populaire, sont souvent tenues à distance dans le monde intellectuel, et les études scientifiques se concentrent principalement sur le champ du sport ou du patrimoine, sans les mettre en relation. Néanmoins, certains sports emblématiques comme le hockey-sur-glace au Québec ou le rugby dans le Sud-Ouest de la France possèdent une part culturelle et mémorielle. Ce patrimoine sportif se compose de trophées ou de médailles, de grands joueurs devenus « mythiques », de stades ou de lieux de mémoire (comme la plaque historique installée à Montréal, à l’endroit où se serait joué le premier match officiel de hockey).

Mais au-delà de ces valeurs matérielles, liées à des objets ou à des sites, les cultures sportives peuvent-elles être considérées comme un « patrimoine vivant », selon la définition proposée dans la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (PCI) de l’UNESCO en 2003 ? Celle-ci comprend cinq grands domaines : les traditions et expressions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales et rituels, les connaissances et pratiques concernant l’art et l’univers ainsi que les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel. Si bien des chants ou des rituels festifs y sont représentés, la place accordée aux activités sportives reste faible dans les premiers dossiers de candidature, évoquant parfois des pratiques équestres ou des arts martiaux. L’aspect sportif émerge de façon complexe ou mineure dans les dossiers où, prisme unescoien oblige, se mêlent étroitement les rituels, la musique, les jeux et festivités. Même si la part motrice reste présente, les dossiers de candidature interrogent sur le sens des pratiques sportives présentées sous un angle culturel : comment considérer l’alpinisme qui se nomme comme « l’art de gravir des sommets et des parois en haute montagne », ou bien la course de dromadaire aux Émirats arabes unis définie comme une « pratique sociale et un patrimoine festif » ?

« Transmettre, sauvegarder et se réapproprier le patrimoine »

Pourtant la transformation de pratiques culturelles traditionnelles en pratiques sportives met en perspective les nouveaux usages que l’on en fait et les enjeux de ces formes de patrimonialisation. Ainsi l’analyse diachronique des raquettes à neige au Québec syncrétise une forme de résilience, autrement dit la capacité d’une culture à se reproduire dans le temps, malgré des changements parfois radicaux. Ce moyen de transport amérindien, transmis aux premiers colons européens au XVIIe siècle, a fait face à de multiples obstacles mettant en péril son usage comme sa fabrication pour ne pas se cantonner à une forme d’expression folklorique dépassée. La raquette à neige a survécu en intéressant une frange de la société par son aspect non-utilitaire, alors qu’elle l’était depuis toujours, et utilisée aujourd’hui dans le domaine du loisir (promenades et excursions), professionnel (gardes de parcs nationaux, monteurs de ligne électriques, etc.) ou du sport (Pentathlon des Neiges, Championnat du monde en raquette ISSF, etc.), ce qui a contribué à la redéfinir et à lui redonner une place dans la société actuelle. L’arrivée des nouveaux matériaux dans son procédé de fabrication a permis de redynamiser le produit, en transformant la raquette en babiche avec des matériaux composites adaptés aux nouveaux besoins sociétaux.

Si les aspirations de reconnaissance en tant que pratique sportive sont visibles (création de clubs, règlements, compétitions ou encore fédérations), ces exemples expriment également l’existence d’un groupe dans le temps. Il traverse une problématique de transmission, démontre l’adaptation, à travers un processus de sportivisation, aux contraintes sociétales et participe à la construction des identités locales et régionales dans un monde globalisé. Ce type de pratiques s’inscrit ainsi dans le champ du patrimoine culturel immatériel qui est, selon l’UNESCO, « transmis de génération en génération, recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité ». Ce phénomène de patrimonialisation peu connu, par la voie du sport, permet d’élargir la définition du PCI et d’étudier les mécanismes de transmission, de sauvegarde et de réappropriation du patrimoine dans les sociétés contemporaines.


Revue 55 Sport et CitoyennetéLire la revue :

Sport et Citoyenneté n°55 : Promouvoir le sport et l’activité physique par la culture 





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