SPORT ET RADICALISATION :  quel cadre pour la prévention de la radicalisation dans et par le sport en France ?

par Julian Jappert, directeur du Think tank Sport et Citoyenneté

et Eva Jacomet, chargée de mission au sein du Think tank Sport et Citoyenneté

 

Créée le 14 novembre 2019, la commission d’enquête du Sénat sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre a rendu ses conclusions mardi 7 juillet 2020. Un pan entier de ce rapport sénatorial s’intéresse aux liens entre sport et radicalisation et met en lumière le rôle que peut jouer le sport dans la prévention de celle-ci.

 

Sport et radicalisation : une question émergente

À l’image des autres secteurs de la société, le milieu sportif n’échappe pas au risque de radicalisation et pourrait même constituer dans certains cas, un terreau favorable à son développement. En 2011, un ouvrage du Conseil de l’Europe pointait du doigt l’enrôlement de jeunes par des individus/structures extrémistes (fondamentalistes, sectes) dans le cadre de pratiques sportives. Sur la scène nationale, la thématique est encore émergente et la prise en charge par les pouvoirs publics limitée. Deux plans nationaux promulgués en 2016 puis 2018 proposaient la mise en place de mesures spécifiques pour faire du sport un outil de la lutte contre la radicalisation. S’il reconnait l’utilité de ces plans successifs, le rapport sénatorial juge ces mesures encore insuffisantes et parfois inefficaces, avec une mise en œuvre limitée dans le domaine sportif. Il suggère le renforcement des contrôles des associations sportives et encadrants et met en lumière la faible structuration de certaines disciplines sportives, à l’image du MMA, qui échappent de ce fait au contrôle des pouvoirs publics. Il souligne enfin que la question de la radicalisation dans le sport est encore peu investie par les fédérations et clubs sportifs, qui rencontrent d’importantes difficultés à se saisir d’un sujet souvent délicat. Pour répondre à ces enjeux, le rapport émet onze propositions visant à renforcer la formation des encadrants sportifs et leur fournir les informations sur les réflexes à adopter face à une potentielle situation de radicalisation, à améliorer l’efficacité des contrôles et à inciter les clubs, les associations et les fédérations sportives à respecter et promouvoir encore davantage les valeurs républicaines.

Penser le sport comme un outil de la politique de prévention
de la radicalisation

En complément de ces mesures de contrôle et de formation des acteurs du milieu sportif, la question de la prévention demeure centrale et ne saurait être mise de côté. Prévenir la radicalisation nécessite le concours et la contribution inestimable, telle que l’évoquait le Conseil de l’Union européenne en 2016, de l’animation socioéducative, des activités bénévoles et culturelles pour intégrer pleinement dans la société, au moyen du sport, des jeunes qui, sans cela, seraient plus vulnérables face à l’embrigadement et la radicalisation. Dans la lignée de ces conclusions du Conseil de l’UE, de nombreuses initiatives ont été soutenues ces dernières années par les institutions européennes. Créé récemment, le projet européen SPEY (‘’Sport for Prevention of Extremism in Youth’’) réunit ainsi neuf partenaires dont notre Think tank Sport et Citoyenneté, et vise à prévenir, chez des jeunes âgés de 16 à 25 ans et en situation d’exclusion sociale, le risque de radicalisation.

Accompagner les acteurs sportifs dans la prévention :
de la nécessité d’une prise en compte des pouvoirs publics

La prévention de la radicalisation dans et par le sport passe par la mobilisation des acteurs sociaux et sportifs. Néanmoins ceux-ci doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement de la part des pouvoirs publics. Sport et Citoyenneté en appelle ainsi à un investissement sans faille des pouvoirs publics pour ne pas laisser les acteurs du sport démunis face à ce défi. A cet égard il semble crucial de délimiter un secteur de l’action publique en charge de cette thématique, capable de répondre aux acteurs du monde sportif. Face à la pluralité d’institutions concernées, il semble bon d’éclaircir ceux à qui reviennent les responsabilités du contrôle des clubs et associations sportives, ainsi que des sanctions afférentes.

Nous attirons également l’attention sur la question complexe du port des signes religieux dans le milieu sportif abordée dans le rapport sénatorial. Celle-ci se doit d’être traitée en vue notamment de l’échéance des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, mais elle doit l’être en dehors de la question de la radicalisation, sans quoi elle risque l’entretien de stigmates et d’amalgames bien contraire aux valeurs que promeut le sport.

A ce titre, il nous semble bon de mentionner ici l’initiative menée par l’association belge Panathlon Wallonie Bruxelles, qui a réuni lors d’un colloque organisé en octobre 2016 les représentants des différents cultes reconnus, des institutions représentant la communauté sportive belge ainsi que le Conseil central laïque autour du thème « Le sport, l’esprit de l’humanité ». A la suite de cet événement, une déclaration a été co-signée par l’ensemble des intervenants du colloque, posant les jalons d’une « véritable balise fédératrice à laquelle se référer pour recréer des liens et répondre à tout acte lors duquel la religion interférerait dans la pratique sportive » [1]. Réunir au sein d’un même événement l’ensemble des représentants des cultes permet ainsi d’établir une réelle discussion et de les inclure pleinement dans les échanges. Sport et Citoyenneté avait soumis au précédent ministre de l’Intérieur l’idée d’organiser une initiative semblable en France. Notre Think tank réitérera ces prochains jours sa proposition auprès du nouveau locataire de la Place Beauvau.

 

[1] Déclaration « Le sport, l’esprit de l’humanité » (2019). Panathlon Wallonie-Bruxelles. http://www.panathlon.be/axe-vigilance-reflexions/declaration-le-sport-lesprit-de-lhumanite/





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