Amadou Gallo Fall, Président de la BAL :
“It’s bigger than Basket-ball”

 

Première ligue professionnelle lancée par la NBA en dehors de l’Amérique du Nord, la Basketball Africa League (BAL) a vu le jour en 2019. Opposant 12 équipes à travers le continent africain, l’édition 2022 s’est achevée le 28 mai dernier à la Kigali Arena, par le sacre de l’US Monastir, vainqueur du championnat tunisien. Au-delà de la stratégie de conquête de l’Afrique par la NBA, la contribution aux objectifs de développement durable (ODD) fait partie intégrante de l’ADN de la BAL, comme en témoigne notamment son partenariat avec l’Agence Française de Développement (AFD). Un homme n’a cessé d’œuvrer en ce sens. Senior Vice-Président de la NBA, Amadou Gallo Fall est devenu le premier Président de la BAL. Il a accepté de répondre aux questions de Sport et Citoyenneté.

 

Entretien réalisé par Lilia Douihech-Slim, journaliste

Secrétaire générale en charge des affaires juridiques, Think tank Sport et Citoyenneté

 

crédit photo :BAL

 

En tant que Président de la BAL, quelle est votre vision d’une économie du basket-ball durable en Afrique ?

AGF : Notre vision ne s’impose pas de limites. Elle est le fruit d’un investissement de plusieurs décennies sur le continent africain, de la part de la NBA. J’ai eu l’honneur d’être présent à plusieurs étapes, de l’organisation des premiers camps d’entraînement en 2003 jusqu’à la création, en 2021, de NBA Africa chargée de la gestion de la BAL, en passant par l’installation du bureau de Johannesburg (Afrique du Sud) en 2010 et la création de la NBA Academy Africa à Thiès (Sénégal), en 2018.

J’ai quitté mon Sénégal natal avec l’ambition de rejoindre l’organisation Médecins Sans Frontières. Grâce au basket-ball, j’ai bénéficié d’une bourse d’études de l’Université du district de Columbia à Washington DC. Mais ce n’est que plus tard que j’ai réalisé l’opportunité extraordinaire qu’il y avait à utiliser le sport comme levier de développement. L’inspiration m’est venue des universités nord-américaines qui utilisaient le sport comme outil de marketing, ce qui avait un impact direct sur leur succès en termes de recrutement d’étudiants. Je pense que le sport peut servir la promotion des pays africains car nos talents sont inégalés. A l’image de nos ressources naturelles, qui ont toujours été exportées à l’état brut pour être valorisées ailleurs, comment crée-t-on une ligue professionnelle qui permette à ces talents d’être visibles et valorisés ici-même ? Chemin faisant, comment crée-t-on un produit de divertissement, toute une industrie autour de ces talents qui va générer de l’emploi et contribuer aux PIB des pays ? A travers cette vision, je peux allier ma passion pour le continent africain, le sport et l’éducation avec la conviction que l’Afrique est bien plus complexe que les caricatures que l’on a pu voir en grandissant. Je n’ai jamais développé de complexes, j’ai toujours été fier d’où je venais et je n’ai pas rencontré de barrières ni pris le temps de penser à certains facteurs limitants.

 

L’ambition de la BAL est de développer des « héros du continent », sa vocation première n’étant pas de servir de tremplin vers la NBA. Quel modèle économique envisagez-vous à l’avenir, pour cette ligue ? Se dirige-t-on vers une ligue fermée sur le modèle nord-américain ?

AGF : Même si certains joueurs auront toujours l’opportunité de rejoindre les États Unis, l’objectif n’a jamais été de venir dénicher du top talent pour la NBA. Notre ambition est de faire de la BAL l’une des meilleures ligues de basket-ball professionnel au monde. En collaboration avec la Fédération Internationale de Basket-ball (FIBA), nous avons d’abord œuvré à rendre ce sport plus accessible. Dans le cadre de nos différents programmes, nous avons établi des partenariats pour la construction de terrains, formé des entraîneurs et créé des opportunités de jeu pour les jeunes : Basketball Without Boarders (BWB) Africa avec les camps de Johannesburg et Thiès ; la Jr. NBA, présente dans une vingtaine de pays à travers des initiatives dans les écoles ; les FIBA Africa Youth Camps à Nairobi (Kenya), Saly (Sénégal) et Abidjan (Côte-d’Ivoire) ou encore, BAL4her visant à promouvoir le sport auprès des filles. De manière évolutive, nous avons posé les jalons qui nous permettent de prétendre aujourd’hui à une ligue d’élite.

Nous avons bâti cette compétition sur des championnats ouverts et nous n’avons pas de certitudes absolues. Mais tout autant que ses financements, la NBA apporte son expertise sur du long terme. Pour assurer son indépendance financière, il faudra que le format de la BAL évolue. Actuellement, sur les 12 clubs participants, 6 sont qualifiés d’office. Les 6 autres passent par des qualificatifs organisés par la FIBA et ouverts à l’ensemble des pays. Nous cherchons à générer de l’énergie et de l’enthousiasme partout. Mais au fil du temps, les clubs disposant des infrastructures physiques et organisationnelles nécessaires au soutien d’un environnement professionnel vont naturellement émerger. Bien que selon moi, le modèle fermé soit celui qui fasse le plus sens financièrement, nous ne l’envisageons pas. Au contraire, il est fondamental que les équipes participant à la BAL continuent de concourir dans leurs championnats nationaux afin que ceux-ci s’en trouvent renforcés, au même titre que les sélections nationales. En voyant leurs héros évoluer dans de grands clubs nationaux, les jeunes basketteurs africains – qui jusqu’ici se disaient que pour maximiser leur talent, ils devaient quitter le continent – auront peut-être envie de rejoindre un club local en sachant qu’il peut le mener à la BAL.

 

À travers la formation des talents sportifs, certains projets comme la SEED Academy dont vous êtes le fondateur historique, contribuent à l’éducation de la jeunesse en formant de futurs leaders pour le continent. Selon vous, comment le sport – à travers notamment le rôle des pouvoirs publics – pourrait-il davantage contribuer à résorber le phénomène d’exclusion massive des jeunes sur le marché du travail en Afrique ?

AGF : Que ce soit à travers le projet SEED ou dans le cadre des actions menées par la BAL, nous formons des jeunes qui vont contribuer à créer l’industrie du basket-ball en Afrique, quel que soit l’emploi auquel ils se destinent. Nous avons besoin de joueurs, d’entraîneurs et de préparateurs physiques, bien sûr, mais aussi d’ingénieurs, de développeurs, de codeurs, de spécialistes en marketing, en finance ou en droit. Par exemple, nous avons un partenariat avec Entrepreneurial Solutions Partners (ESP), une société de conseil en stratégie et d’investissement basée à Abidjan (Côte-d’Ivoire) et à Kigali (Rwanda), qui mise sur la compétitivité du secteur privé pour créer des emplois de qualité et des accélérateurs de croissance inclusive. Elle propose des offres de stages à destination de nos jeunes en formation. Et il ne s’agit pas que du basket-ball. Nous réfléchissons par exemple avec la FIFA à la meilleure manière de créer une industrie du sport pérenne en Afrique.

Fondamentalement, tout pays africain a intérêt à se focaliser sur comment garder sa jeunesse motivée, citoyenne et ambitieuse car le développement du continent va venir de ces générations. De grands leaders comme Paul Kagame ou Macky Sall sont d’ores et déjà convaincus qu’investir dans le sport est une manière d’occuper la jeunesse dans des activités sociales positives et que construire des infrastructures sportives permettra de créer l’émergence d’une véritable industrie capable de booster le tourisme interafricain. Nous avons des retours d’expériences d’autres pays qui, inspirés par les exemples de Kigali (Rwanda), du Caire (Égypte) ou Dakar (Sénégal), souhaitent à leur tour s’équiper d’arénas. Il est important que les pouvoirs publics continuent d’amorcer les choses, en permettant notamment la rencontre entre la jeunesse et le sport. Mais l’investissement privé est indispensable, par exemple pour la gestion des infrastructures dans le cadre d’un partenariat public-privé.

 

crédit photo : BAL

 

Depuis septembre 2021, l’AFD finance un programme edutainment dont la BAL est partenaire : Alley-oop Africa. L’un des buts est de sensibiliser les jeunes aux objectifs de développement durable (ODD). Pouvez-vous nous en parler ? Comment ce programme s’inscrit-il dans la stratégie d’attractivité de la BAL ?

AGF : Alley-Oop Africa est un projet conduit par l’ONG sénégalaise RAES, Keewu Production, l’AFD et la BAL, en partenariat avec un réseau d’associations locales. Le concept est le suivant : filmer 20 jeunes (10 filles et 10 garçons venant de 7 pays d’Afrique) formés le temps d’un camp au basket-ball et à l’engagement citoyen, coopérer pour relever des défis liés à l’égalité femmes-hommes et à la santé. À travers 12 épisodes de 52 minutes qui vont être largement diffusés sur des médias de masse et numériques, le projet mise sur la force de l’exemple pour encourager un changement de comportement en phase avec les ODD, auprès des publics qui regarderont leurs aventures ou qui seront mobilisés aux cours des campagnes communautaires conduites par les associations locales. J’ai eu le plaisir de rendre visite à ces jeunes à Thiès (Sénégal), lors des présélections et à Kigali (Rwanda), lors de la finale de la BAL. Enthousiastes et pleins de vie, ils sont les meilleurs ambassadeurs du message que nous essayons de porter, conjointement avec l’AFD. Nous avons hâte de suivre leurs aventures en images.

Tout au long de mon parcours, j’ai acquis la conviction que l’important dans la vie, c’est d’avoir un impact : d’abord en s’accomplissant au niveau personnel pour pouvoir ensuite créer des opportunités pour les autres. Oui, nous aurons toujours un produit extrêmement attrayant parce que nous avons les meilleurs athlètes au monde qui performent dans un environnement alliant musique et mode, ce qui va forcément parler à la jeunesse. Mais c’est vraiment l’impact que l’on va avoir, ce que nous allons faire dans la communauté qui compte. Ce que nous faisons, « it’s bigger than Basket-ball ». Nous avons l’opportunité d’utiliser cette plateforme qu’est la BAL pour avoir de l’impact dans la société, au-delà de l’aire de jeu. On voit que les jeunes entendent notre message et c’est ce qui nous donne de l’énergie !

 

Parvenir à l’indépendance économique de la BAL constitue un défi majeur afin que la compétition perdure. Comment conciliez-vous cet impératif avec la prise en compte des aspects environnementaux et sociaux dans le choix de vos partenaires économiques ? 

AGF : Les partenariats que nous nouons permettent à la BAL de se démarquer. Nous avons méthodiquement et stratégiquement recherché des partenaires qui ne sont pas conventionnels dans le secteur des sports professionnels, mais qui sont à même d’apporter de la valeur au continent africain : l’AFD, l’Union Africaine, United States Agency for International Development (USAID) ou encore New Fortress Energy (NFE). Nous avons bien sûr conservé les partenaires historiques de la NBA : Brand Jordan, Nike, Hennessy qui ont leurs objectifs et qui correspondent à l’aspect entertainment. Mais au bout du compte ce sont ces ODD qui font le positionnement de la BAL.

Nous voyons que les jeunes sont motivés par les actions de sensibilisation que nous menons auprès d’eux en matière d’environnement, d’économie et d’agriculture solidaire, de santé ou encore de citoyenneté. Je pense par exemple au challenge « Three for Trees » mené avec NFE lors de la dernière édition de la BAL, au cours duquel, pour trois points marqués, trois arbres sont plantés dans la grande muraille verte. Mais il y en a beaucoup d’autres.

 

 

Pensez-vous que le « rêve sportif » puisse influencer le départ ou le non-départ de jeunes africains candidats à l’exil clandestin ?

AGF : Je n’ai aucun doute. Pourquoi ces jeunes s’aventurent-ils sur des chemins périlleux pour rejoindre des pays dans lesquels ils ne sont même pas garantis de trouver cet eldorado dont ils rêvent ? Leur vécu au quotidien, ce qu’ils voient chez eux, rien ne les inspire. Je ne dis pas que le sport va résoudre tous les problèmes. Mais la pratique d’un sport offre à ces jeunes une structure susceptible de constituer un garde-fou contre certaines influences.

Finalement, comment définit-on le succès ? Est-ce partir d’Afrique ? Je pense que l’avenir démontrera que nous sommes capables de grandes choses. La dernière édition de la BAL a été retransmise dans 215 pays et nous avons reçu de nombreux commentaires à travers le monde nous disant : « Waouh, je n’arrive pas à croire que ça se passe en Afrique ! ». Et c’est là le vrai combat. Il faut que ça devienne quelque chose de normal car ce que je retiens, c’est que l’Afrique ne mérite pas d’avoir ce genre de réussites. Donc nous allons continuer à travailler pour que nos jeunes voient que c’est possible de réussir chez nous. Notre devise c’est « Inspire, Empower, Elevate » (Inspirer, habiliter, élever).

 

Retrouvez cet article dans notre revue spéciale « Sport et ODD », à paraître au mois de septembre !

 





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