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De 1920 à nos jours : les femmes à la conquête du rugby

Par Eva JACOMET, chargée de mission du Think Tank Sport et Citoyenneté

Femmes jouant au rugby en Espagne

Samedi dernier, les Bleues du XV de France ont déroulé face à l’Ecosse en s’imposant 55-0. Grâce à leurs performances, elles sont encore en lice pour réaliser le Grand Chelem avant d’affronter dimanche prochain le Pays de Galle puis de s’attaquer au mythique Crunch, face à l’Angleterre le 28 avril prochain. Si la constance de leurs performances et l’attention médiatique croissante leur permet peu à peu de se faire une place dans le paysage du rugby français, beaucoup de chemin reste à parcourir pour atteindre l’égalité de genre dans une discipline sportive historiquement et majoritairement pratiquée par les hommes.

Elles sont également les héritières d’une histoire du rugby au féminin longue, jalonnée d’étapes marquantes qui continue de s’écrire. Coup d’œil dans le rétroviseur du rugby au féminin en France.

Aux origines du rugby au féminin : la barette

En France, l’histoire du rugby au féminin commence au XXème siècle par la pratique d’une discipline aujourd’hui disparue : la barette. Née au XVIIIème siècle, elle est l’ancêtre du rugby pratiqué de nos jours. En France, la Doctoresse Marie Houdré en adapte les règles pour les publics féminins : le jeu se joue à 12 sur un terrain réduit, les plaquages y sont interdits contrairement aux contacts et mêlées qui restent de vigueur.

Dans les années 1920, la pratique féminine de la barette s’ancre dans un contexte politique particulier de post première guerre mondiale où les femmes acquièrent davantage de libertés et où se forment les luttes pour le droit de vote des femmes. En 1922 se joue le premier match de barette entre deux équipes féminines, puis la discipline continue de croître sous l’égide de la Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France (FSFSF) – présidée quelques années plus tôt par la figure Alice Milliat – dans les années suivantes pour atteindre son apogée à la fin des années 1920. Ainsi en 1927 on recense un championnat national impliquant 12 équipes dont une majorité à Paris, et quelques-unes à Bordeaux, Toulouse ou Lille.

Cette dynamique s’avère cependant très éphémère et dépendante du contexte historique.

La chercheuse Lydia J. Furse, autrice de travaux récents sur la pratique féminine de la barette en France dans les années 1920[1], souligne ainsi le poids déterminant joué par le crise économique et sociale des années 1930. Les pratiques sportives deviennent pour beaucoup économiquement inaccessibles. Par ailleurs, la barette comme d’autres pratiques sportives féminines, fait les frais des politiques de restriction budgétaire de l’Etat, les subventions que les organisations sportives féminines recevaient de l’Etat français cessent.

Elle souffre de surcroît des nombreuses critiques émises par le mouvement sportif comme par le champ médical ou certains journalistes. La Fédération Française de Rugby, loin de soutenir la pratique de la barette par les femmes décide ainsi, fin 1923, d’interdire à ses clubs de mettre leurs terrains à la disposition du rugby féminin. La discipline fait également l’objet des critiques acerbes dans des journaux reconnus comme « La Presse » ou de la part de nombreux médecins. Les spécificités organiques des femmes y sont souvent présentées comme un obstacle à certaines pratiques sportives jugées trop violentes ou mettant en péril leur fonction reproductrice.

La barette perçue comme pratique subversive et peu acceptée socialement, ne survit pas à ces oppositions et s’éteint dans les années 1930 malgré la pratique de ces pionnières et la lutte de la Doctoresse Marie Houdré, dont le nom est désormais gravé sur le mur des légendes de la Fédération Française de Rugby inauguré en 2019.

 

De 1965 à la fin des années 1980 : raffut contre l’interdiction

Pourtant, loin de s’arrêter là, la pratique féminine du rugby renaît de ses cendres en 1965 à Bourg en Bresse grâce à l’initiative de jeunes lycéennes et universitaires. La pratique se développe et suit cette fois-ci les mêmes règles que celles observées chez les hommes. Les premières équipes féminines naissent et un championnat s’organise sous la houlette de l’Association française de Rugby Féminin (AFRF) qui voit le jour en 1970, dans un contexte pourtant très hostile.

En effet, les pratiquantes se heurtent à nouveau, à de virulentes oppositions parmi lesquelles celle du secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre chargé de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs de l’époque, Marceau Crespin.

En 1969, s’adressant aux préfets il prononce contre le rugby au féminin, une interdiction qui ne dit pas son nom : « Je pense que le rugby, sport de contact exigeant des qualités d’endurance, de robustesse foncière et de virilité, est contre-indiqué pour les jeunes filles et les femmes pour des raisons psychologiquement évidentes… Aussi, je vous demande de ne pas les aider, ni à plus forte raison de patronner les équipes de rugby féminin. »

Qu’importe, les pratiquantes font fi de cette interdiction et dès 1973, l’AFRF ouvre le dialogue avec la Fédération Française de Rugby (FFR) pour que le rugby au féminin soit reconnu par la FFR. Il faudra attendre le 26 octobre 1982 pour qu’un protocole d’accord soit conclu et que l’Équipe de France de rugby à XV féminin dispute son premier match officiel, puis 1989 pour que le rugby au féminin soit définitivement intégré à la Fédération Française de Rugby.

 

Des années 1990 à nos jours : de la conquête à l’essai ?

Si au fil du XXème siècle, les femmes ont réussi à se frayer un chemin dans le monde du rugby français pour atteindre en 2022 26 000 pratiquantes en France, les défis restent nombreux à relever à commencer par la professionnalisation du championnat d’élite féminin et la lutte toujours d’actualité contre des stéréotypes de genre qui continuent de prévaloir dans le rugby.

Le XV de France par ses performances répétées en Coupe de Monde comme au Tournoi des Six Nations ouvre la voie, reste à s’y engouffrer pour assurer, plus d’un siècle après les premières mêlées, l’avenir du rugby au féminin en France.

 

[1] Lydia J. Furse (2019) Barrette: Le Rugby Féminin in 1920s France, The International Journal of the History of Sport


Pour aller plus loin

Rugby et genre: regard sur des initiatives de terrain dans le monde un ouvrage de bonnes pratiques pour promouvoir la pratique féminine du rugby à travers le monde.

3 points à retenir du colloque: « priorité politique, développement économique et médiatiques : défis d’aujourd’hui et de demain pour le sport au féminin, organisé à Nantes le 23 janvier 2023

Vers une plus grande égalité des genres dans le sport, par Eva Jacomet, chargée de mission au Think tank Sport et Citoyenneté

 



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