La transition récréative des pratiques sportives

 

 

Par Jean Corneloup, Maître de conférences en sociologie, Président de sportsnature.org, Rédacteur en chef de la revue Nature & Recreation, membre du comité scientifique Sport et Citoyenneté

 

A une époque marquée par une prise de conscience progressive de la fin d’une croissance exponentielle de nos modes de vie, pratiques de consommation et économies de marché, quels sont les effets concernant les pratiques sportives ? Celles-ci sont-elles impactées par ces changements et peuvent-elles contribuer à une transition récréative significative ? Pour répondre à ces questions, il importe de partir de l’idée que le sport est attaché à des systèmes organisationnelles particuliers (fédérations, club, entreprises, association, communes,…) en lien avec des cultures sportives spécifiques qui ne renvoient pas au même relations au corps, à la technologie, aux collectifs et aux symboliques. Pour illustrer le propos, on peut différencier le sport moderne (compétition, performance, épreuve) qui s’inscrit dans un cadre institué, codifié et standardisé où domine les principes de progrès, d’effort, d’organisation formelle et d’excellence, du sport postmoderne (défi, vertige, ludisme, jouissance) qui s’inscrit dans un cadre libre et communautaire où domine les principes analogique, contre-institutionnel, libertin et parfois libertaire. Deux conceptions différentes de la société et du rapport à la règle, à la norme, au travail et à la vision du monde sont observables. A l’interface de ces deux cultures, le sport hypermoderne a amplifié sa présence lorsque l’enjeu consiste à cultiver un art de vivre, le souci de soi et une disposition à développer un potentiel d’action pour faire valoir ses dispositions à maîtriser sa vie et ses relations tant professionnelles que personnelles. Entre les pratiques de football en club (sport moderne), le surf tribal et fun (sport postmoderne) et le trail (sport hypermoderne), des différences culturelles significatives sont en jeu.

 

Aujourd’hui, pour s’adapter à la turbulence du monde et au dérèglement climatique, énergétique et écologique, les organisations sportives doivent modifier leur mode de fonctionnement en mettant en place différentes mesures éco-responsables via l’usage de labels, normes iso et chartes de développement durable. Cependant est-ce suffisant ? Pour répondre à ces enjeux, d’autres cultures sportives émergent : du côté des pratiques éco-récréatives faisant l’éloge à la lenteur, aux slow pratiques et à l’écologie corporelle comme intention de penser autrement les relations à la nature, aux autres et aux environnements ; mais aussi du côté des sphères virtuelles avec l’émergence des e-sports, des applications numériques et des métavers sportifs en devenir. Toute une transition récréative est en marche pour donner naissance à des formes culturelles qui recomposent les relations genrées, écologiques, symboliques et corporelles aux espaces de pratique. Mais comment procéder ? Sans l’attention portée à l’espace public, dans la capacité des collectifs à décliner en commun leur projet existentiel capable de proposer une réponse adaptée aux territoires de vie (quartiers, communes, collectifs locaux,…), la transition reste en chemin. Elle ne participe pas à recomposer les politiques publiques autour d’un commun récréatif choisi. D’où le rôle que doivent jouer les tiers lieux et les laboratoires récréatifs pour qualifier le monde récréatif adapté aux modes de vie acceptables collectivement. Bien des territoires ruraux et urbains sont engagés dans cette voie et participent largement à penser autrement les liens entre les pratiques sportives et les autres pratiques localement situées (entreprises, habitants, associations, lieux de consommation,…). Tout un programme…


Jean Corneloup, La transition récréative, une utopie transmoderrne, PURH, Rouen, 2022.

https://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100605620





Sport et citoyenneté