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L’autonomie du sport : une analyse juridique

Richard PARRISH

Professeur en droit du sport, Université de Edge Hill et membre du comité scientifique du Think tank Sport et Citoyenneté

 

Les statuts actuels de nombreux sports majeurs font référence à la nécessité de protéger l’autonomie du sport. Cela se justifie généralement par le fait qu’elle constitue un outil important à travers lequel les valeurs inhérentes au sport peuvent être protégées des influences politiques, juridiques, et, aujourd’hui, commerciales.

En règle générale, ces dispositions indiquent que l’autonomie du sport peut être comprise comme faisant référence à une série de compétences sportives. Celles-ci comprennent, notamment, la capacité des organisations d’établir, de modifier et d’interpréter les règles sportives sans influence extérieure indue ; de choisir leurs dirigeants et leur mode de gouvernance et d’obtenir des fonds publics et de les utiliser sans obligations disproportionnées1.

 

“La Lex Sportiva face à l’incertitude juridique”

L’un des aspects les plus complexes de l’autonomie du sport est de savoir comment concilier les règles des organisations sportives avec les lois du pays. On prétend souvent qu’en raison des spécificités du secteur « sport », la justice sportive serait mieux dispensée par ceux qui savent, plutôt que part les tribunaux traditionnels. Comme l’a reconnu la Cour européenne dans son arrêt Deliège, les fédérations nationales « ont normalement les connaissances et l’expérience nécessaires » pour gérer leurs propres affaires de manière efficace2. Pourtant, dans d’autres cas, la Cour européenne a suscité des critiques pour avoir prétendument substitué ses propres connaissances à celles des organisations sportives. Par exemple, dans l’arrêt Bosman, il a été avancé que la Cour avait franchi la ligne non seulement en démantelant les justifications présentées en faveur du système de transfert, mais aussi en suggérant d’autres moyens de parvenir à un équilibre concurrentiel, comme un système de partage des revenus3. De même, dans son arrêt Meca-Medina, la Cour a été critiquée pour avoir établi une approche mettant l’accent sur la proportionnalité des mesures sportives, en l’espèce, les exigences antidopage4. Comme l’a souligné Gianni Infantino, cette méthode invite au litige et crée ainsi une incertitude juridique en transférant la responsabilité d’évaluer la proportionnalité des règles sportives des organisations sportives qualifiées et compétentes vers les juges5.

L’ingérence judiciaire observée par Gianni Infantino dans l’arrêt Meca-Medina est dangereuse pour le mouvement sportif, dans la mesure où l’incertitude juridique est l’un des principaux facteurs qui limite l’autonomie du sport et sape la soi-disante Lex Sportiva, le mode alternatif de résolution des litiges développé par le mouvement sportif. Comme alternative aux litiges, ce système est moins cher et plus rapide et les coûts sont pris en charge par le monde du sport et non par le contribuable. Au sommet de ce système se trouve le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), un tribunal délivrant une justice sportive applicable globalement, qu’une juridiction nationale ou européenne ne saurait faire. Il est revendiqué que son existence justifie la non-intervention des tribunaux ordinaires dans les affaires sportives.

 

“L’autonomie sportive doit être reconceptualisée”

Le contre-argument est que les organes directeurs du sport moderne ont évolué vers une organisation complexe qui ne saurait être à l’abri de la surveillance judiciaire. Les instances dirigeantes sportives n’agissent plus seulement en tant que régulateurs de leurs disciplines, mais poursuivent également des ambitions commerciales. Ce double rôle peut donner lieu à des conflits d’intérêts et des comportements abusifs. Il a été avancé que la commercialisation du sport a signifié que les intérêts des athlètes et des entreprises économiquement dynamiques n’étaient pas pleinement pris en compte par les instances sportives. Ceux qui ont été déresponsabilisés au sein des structures de gouvernance en vigueur demandent réparation en droit, ce que l’arrêt Oulmers a révélé6. De même, la plainte actuelle de la FIFPro vis-à-vis du système international de transfert révèle une frustration quant au rythme de changement proposé à travers le dialogue social européen7. Les athlètes ont également exprimé leur crainte que le système de règlement des litiges, en particulier au niveau du TAS, possède un biais intrinsèque en faveur des instances dirigeantes sportives8 ou que les décisions rendues prêtent insuffisamment attention aux droits des travailleurs consacrés par le droit national ou communautaire9. Les clubs ont déposé des plaintes similaires à cet égard10. En outre, les parties prenantes d’autres secteurs économiques connexes au sport, tels que celui de la radiodiffusion, de la publicité et des marchés de détail, se plaignent que l’autonomie sportive est égoïste et qu’elle porte atteinte à leurs intérêts. Ces derniers se tournent vers les tribunaux pour les protéger contre de telles actions.

Le débat sur le bien-fondé de l’autonomie du sport par rapport à l’intervention juridique est devenu quelque peu polarisé et dépeint comme un jeu à somme nulle. L’autonomie sportive doit être reconceptualisée comme un partenariat entre le mouvement sportif et les pouvoirs publics afin que les normes de gouvernance et le règlement des différends sportifs reflètent les normes universellement reconnues, quitte à ce qu’elles soient ajustées à la spécificité du sport. L’autonomie du sport n’est donc pas un principe absolu, elle est conditionnée au fait que les organismes sportifs adhèrent aux principes de bonne gouvernance et à un règlement équitable des différends. Sans ces adaptations, les parties prenantes du sport et de ses activités connexes seront encouragées à régler leurs différends devant les tribunaux ordinaires, ou alors les pouvoirs publics pourront justifier l’imposition d’une réglementation externe sur le sport.

www.edgehill.ac.uk

 

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