Pourquoi la France doit-elle ratifier la Convention sur la manipulation des compétitions sportives ?

Clémence Collon, Doctorante en droit privé à l’école doctorale de droit de La Sorbonne

Membre du comité scientifique du Think tank Sport et Citoyenneté

 

Entrée en vigueur le 1er septembre 2019, la convention dite de « Macolin » n’a toujours pas été ratifiée par la France. Une situation paradoxale, alors même que notre pays en fut l’un des premiers signataires.

La Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation des compétitions sportives, ouverte à la signature depuis le 18 septembre 2014, lors de la 13e conférence des Ministres du Conseil de l’Europe responsables du sport à Macolin (Suisse), a été signée par trente-deux pays. Ce premier instrument juridique international contraignant visant directement les manipulations sportives dont les matchs truqués est entré en vigueur ce 1e septembre 2019 grâce à sa ratification par six pays, l’Italie, la Moldavie, la Norvège, le Portugal, la Suisse et l’Ukraine.

Bien que la France l’ait rapidement signée[1], elle n’a pas encore ratifié cette Convention. Or, notre pays ne pourra être lié juridiquement par la Convention que par l’acte de ratification. Pendant la phase de travaux préparatoires à la Convention[2], la France a été l’un des pays les plus dynamiques et a soumis de nombreuses propositions. Elle fait partie aujourd’hui des pays les plus avancés en la matière, grâce, en partie, à la coopération de nombreux acteurs nationaux et la création de la plateforme nationale de lutte contre la manipulation des compétitions sportives [3] le 28 janvier 2016. Néanmoins, notre pays souffre d’un socle juridique imparfait en l’absence de sa ratification.

Un sujet d’actualité

Récemment, la France n’a pas été épargnée par les affaires de manipulation de compétitions sportives. Ces manipulations peuvent être liées aux activités du crime organisé et menacent directement l’ordre public et l’État de droit. La ratification de cette convention par la France serait un signe politique fort à l’international pour la défense de l’intégrité sportive à l’horizon des Jeux Olympiques de Paris 2024, d’autant plus que le Comité International Olympique s’est prononcé en faveur de ladite convention. Le Comité de suivi de la Convention étant prévu pour 2020, la France doit faire partie de ses membres pour pouvoir continuer de participer à cette dynamique.

Il reste à régler le problème du blocage européen. Le Conseil européen a rendu un avis juridique qui affirme que l’Union européenne (UE) ne peut signer des traités relatifs aux compétences mixtes si le Conseil n’a pas approuvé à l’unanimité. Or, le véto de l’État de Malte empêche l’UE de signer la Convention et, a fortiori, ses États membres de la ratifier. Pourtant, certains États de l’UE comme le Portugal et l’Italie ont décidé de passer outre en procédant à la ratification. L’absence de réaction de la part de la Commission européenne nous laisse penser que le blocage actuel est largement surmontable. En outre, il serait judicieux pour Malte de lever son véto afin de permettre à l’UE de signer et ratifier la convention. En effet, cela lui permettrait de faire partie du comité de suivi et obtenir le pouvoir d’amender[4] la convention et notamment les textes litigieux.

Un instrument de prévention et de sanction

Par ailleurs, la Convention se présente comme un véritable instrument international contraignant en faveur de l’intégrité sportive[5] avec des garde-fous démocratiques[6] et juridiques[7]. Pour une harmonisation à échelle mondiale, elle fixe des définitions communes de la compétition sportive, de l’organisation sportive, du pari sportif, qu’il soit illégal, atypique ou suspect, des acteurs de la compétition, et de l’information d’initié[8]. Elle définit la manipulation de compétition sportive[9].

D’une part, la Convention se présente comme un instrument de prévention. La coopération doit permettre une prévention efficace, notamment pour identifier, analyser et évaluer les risques liés à la manipulation[10]. La prévention passe par la sensibilisation, l’éducation, la formation et la recherche[11]. Des actions de formations de groupe auprès de publics cibles sont encouragées. Les organisations sportives et les organisateurs de compétitions sportives sont invités à mettre en place des règles et principes à portée générale, des principes de bonne gouvernance[12]. Les acteurs respectent des interdictions de parier sur les compétitions auxquelles ils participent pour éviter l’apparition de conflits d’intérêts. Ils s’interdisent également d’utiliser ou diffuser de manière abusive des informations d’initiés. Des exigences analogues sont posées pour les opérateurs de jeu[13]. La Convention encourage la mise en place d’un contrôle renforcé du déroulement des compétitions sportives qui sont exposées à des risques de manipulation, et des dispositifs de dotation de l’expertise pour évaluer les alertes de surveillance. Les activités suspectes doivent être immédiatement signalées aux autorités compétentes. Elle prévoit la création d’une autorité de régulation pour les paris sportifs dans chaque État pour assurer le rôle de coordination dans les échanges d’informations entre les opérateurs de paris et le mouvement sportif, de même que limiter l’offre de paris[14] et lutter contre l’offre illégale[15].

D’autre part, la Convention est un instrument de sanction. Les sanctions disciplinaires des organisations sportives doivent respecter les Droits de l’Homme et le principe de proportionnalité. Elle prévoit la possibilité de retraits de soutiens financiers aux organisations sportives en cas de manipulation[16]. Les infractions pénales relatives à la manipulation de la compétition sportive, et en cas de contrainte, corruption ou fraude, sont couvertes par le droit interne[17]. Le blanchiment du produit des infractions pénales est sanctionné également[18] tout comme la complicité[19]. Le chapitre V est consacré au droit pénal procédural et à la répression de la manipulation des compétitions sportives.

Vers une officialisation cette année ?

La Convention encourage la coordination interne[20] en matière de politiques et actions prises par l’État, ainsi que la coopération entre les différents acteurs du sport tels que les organisations sportives, les organisateurs de compétitions sportives, les opérateurs de paris sportifs avec les autorités publiques (législateur, justice, police, autorités en charge de la régulation des paris sportifs, instances gouvernementales chargées du sport, collectivités locales, les autorités en charge de la protection des données personnelles)[21]. Elle prévoit la création d’une plateforme nationale qui serait un centre d’information chargé de collecter et transmettre des informations pertinentes aux autorités ou organisations compétentes[22]. Elle instaure également des mécanismes de coopération internationale avec le renforcement de l’échange d’informations entre les États et les organisations d’envergure internationale[23].

 

A la lumière de ces dispositions, la France dispose déjà de l’arsenal juridique prévu par le texte du Conseil de l’Europe. En réalité, la France et la Convention dite « de Macolin » sont dans une relation « d’influences réciproques » pour l’élaboration d’une protection contre la manipulation des compétitions sportives. Il ne reste plus qu’à « officialiser » cette relation en ratifiant la Convention dans l’année qui vient.

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[1] Signature de la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives (STCE n°215) par la France le 2 octobre 2014.

[2] Résolution n°1 adoptée lors de la 18e conférence informelle du Conseil de l’Europe des Ministres responsables du sport (Bakou, Azerbaïdjan le 22 septembre 2010) qui a invité l’APES à une étude de faisabilité d’une éventuelle convention internationale ; Recommandation CM/Rec(2011)10 contre la manipulation des résultats sportifs. ; Résolution n°1 sur la coopération internationale en matière de promotion de l’intégrité du sport contre les manipulations des résultats (matchs arrangés), adoptée lors de la 12e conférence du Conseil de l’Europe des Ministres responsables du sport (Belgrade, Serbie, 15 mars 2012)

[3] Rapport d’activité de la plateforme nationale de lutte contre la manipulation de la compétition sportive, (2017) http://www.sports.gouv.fr/accueil-du-site/a-la-une/article/Presentation-du-rapport-d-activite-2017-de-la-plateforme-nationale-de-lutte-contre-la-manipulation-des-competitions-sportives
(2018/2019) http://www.arjel.fr/Publication-du-rapport-d-activite,1781.html

[4] CONSEIL DE L’EUROPE, Convention sur la manipulation de compétitions sportives, STCE n°215, 18 sept. 2014, entrée en vigueur le 1e sept.2019, art.38.

[5] Ibid., art. 1.

[6] Ibid., art. 2 : « La lutte contre la manipulation de compétitions sportives s’inscrit notamment dans le respect des principes suivants :a) les droits de l’homme ; b)  la légalité ;c) la proportionnalité ; d) la protection de la vie privée et des données à caractère personnel»,

[7] Ibid., art. 14 relatif à la protection des données personnelles; Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (1950, STE n°005) ; Convention européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et notamment de matches de football (1985 ; STE n°120) ; Convention contre le dopage (1989 ; STE n°135) ; Convention pénale sur la corruption (2002 , STE n°173) ; Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (2008, STCE n°198) ; Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (2000) et ses protocoles ; Convention des Nations Unies contre la corruption (2003)

[8] CONSEIL DE L’EUROPE, Convention sur la manipulation de compétitions sportives, STCE n°215, 18 sept. 2014, entrée en vigueur le 1e sept.2019, art.3.

[9] Bien que nécessaire pour saisir le contenu de ladite convention et son périmètre d’action, la définition n’est pas suffisante. Ces développements font partie de mes recherches dans le cadre d’une thèse de doctorat en droit sur la thématique des manipulations sportives, sous la direction du professeur Didier Poracchia, à l’Université Paris1-Panthéon Sorbonne.

[10] Ibid., art. 5.

[11] Ibid., art. 7 et s.

[12] Ibid., art. 7.

[13] Ibid., art. 10.

[14] CONSEIL DE L’EUROPE, Convention sur la manipulation de compétitions sportives, STCE n°215, 18 sept. 2014, entrée en vigueur le 1e sept.2019, art.9.

[15] Ibid., art.11. La lutte contre l’offre illégale passe par le blocage d’accès au site internet de l’opérateur illégal ou au blocage des flux financiers, et par l’interdiction de publicité.

[16] Ibid., art.8.

[17] Ibid., art.15.

[18] Ibid., art.16.

[19] Ibid., art.17.

[20] Ibid., art.4.

[21] Ibid., art.12.

[22] Ibid., art.13.

[23] Par exemple, Europol, Interpol, CIO.





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