Radicalisation dans le sport : repérer pour mieux prévenir ?

Sylvain LANDA, Directeur éditorial, Think tank Sport et Citoyenneté

 

Auditionné par la Commission des Lois de l’Assemblée nationale suite à l’attentat perpétré au sein de la Préfecture de Police de Paris le 3 octobre dernier, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a dévoilé les résultats des premiers contrôles effectués dans le champ du sport en matière de lutte contre la radicalisation. Le ministre a précisé que 127 contrôles ont été effectués dans des clubs sportifs ces derniers mois, notamment dans des structures de sport de combat et de stands de tirs, et qu’à l’issue de ces contrôles, cinq fermetures d’établissement et cinq incapacités d’exercer ont été prononcées, ainsi qu’un signalement au procureur de la République.

 

 

La conduite de ces opérations de contrôle faisait partie des 60 mesures du Plan national de prévention de la radicalisation, adopté par le Comité Interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation le 23 février 2018. Elles faisaient suite à la parution de plusieurs documents des services de renseignement, dont une partie a été révélée par la presse, faisant état de plusieurs cas de radicalisation dans le champ du sport, et appelant à une vigilance particulière dans ce domaine.

À l’image des autres secteurs de la société, le monde du sport n’échappe pas au risque de radicalisation. Il pourrait même constituer selon certains un terreau favorable à son développement. En 2011, un ouvrage du Conseil de l’Europe évoquait la question du fondamentalisme dans le sport. Plus récemment, le rapport d’information parlementaire sur les services publics face à la radicalisation, conduit par les députés Éric Diard et Éric Pouillat et publié le 27 juin 2019, souligne que « le sport, lieu emblématique de l’intégration et de l’apprentissage des règles, est devenu à bien des égards celui d’une forme de désocialisation dans la mesure où la radicalisation, quoique difficile à quantifier précisément, semble y progresser ». S’appuyant sur les travaux et les observations de plusieurs spécialistes, dont ceux de Médéric Chapitaux (ancien gendarme, auteur de l’ouvrage « Le sport, une faille dans la sécurité de l’Etat » et doctorant au laboratoire Cresco de l’Université de Toulouse), le rapport pose d’abord le constat d’une radicalisation multiforme difficile à quantifier dans le champ sportif. Les auteurs soulignent la difficulté pour les services de renseignement de pénétrer ce milieu ainsi que la faiblesse des remontées d’information de la part des fédérations, des clubs mais aussi des salles de sport privées. Le rapport pointe également du doigt le développement des pratiques sportives émergentes non encore instituées (à l’image du MMA), se situant de fait en dehors des radars officiels et donc moins faciles à contrôler.

Face à cette situation, des mesures ont bien été prises, notamment dans le cadre du Plan national de prévention de la radicalisation (3 mesures parmi les 60 du plan concernent spécifiquement le champ du sport). Mais les députés soulignent que ces réactions demeurent insuffisantes, et appellent à une prise de conscience urgente de la situation. Ils préconisent notamment l’extension du champ des enquêtes administratives de sécurité aux éducateurs sportifs, en raison notamment de leur contact direct avec des publics jeunes ou vulnérables.

En complément de ces mesures de détection ciblée, la question de la prévention demeure centrale. En 2016, dans ses Conclusions « Prévenir et combattre la radicalisation conduisant à l’extrémisme violent », le Conseil de l’Union européenne soulignait la contribution inestimable que l’animation socioéducative, les activités bénévoles et culturelles et le sport peuvent apporter pour communiquer avec les jeunes susceptibles, sans cela, d’être plus vulnérables à la radicalisation. Dans son prolongement, plusieurs projets ont été soutenus ces dernières années par les institutions européennes en matière de lutte contre la radicalisation dans/par le sport, à l’image du projet SPORT IDENTITY piloté par le CREPS d’Ile de France ou du projet CORPLAY mené par l’ONG KEAN basée à Athènes. Sur ce volet, la co-construction, par les acteurs sociaux et les clubs sportifs, d’outils de prévention et de sensibilisation au risque de radicalisation semble être efficace et doit donc être encouragée, afin de faciliter le travail de ces derniers.

La « société de vigilance » appelée de ses vœux par le Président de la République passe aussi par une meilleure formation des professionnels du sport, que ce soit dans l’identification des signes de radicalisation ou en matière de remontée d’information. Cela nécessite aussi un accompagnement, pour ne pas laisser les acteurs du sport démunis face à ce défi. Sur ce point, le rôle des référents chargés de la prévention de la radicalisation dans les services déconcentrés et les établissements du ministère des Sports ainsi que dans les fédérations sportives (référents « Citoyenneté ») doit être renforcé, ce qui pose néanmoins question au vu de la profonde mutation de l’organisation du sport actuelle. Mais comme l’a tristement rappelé l’attentat de la Préfecture de Police de Paris, nul espace public et nul secteur d’activité n’est aujourd’hui à l’abri de ce type de violences.





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