Un monde sportif d’après à la recherche du second souffle ?

Dans une tribune pour Sport et Citoyenneté, Denis Musso, ancien professeur à l’INSEP, interroge les relations entre États et mouvement sportif dans le « monde d’après », dont les contours restent encore à définir.

Denis Musso, Membre du comité scientifique du Think tank Sport et Citoyenneté ; président de www.accordetaccords.org

Pendant que l’élite sportive rêve de superprofits, les pratiques amateurs se réduisent. Le serpent de mer de la Super League est réapparu et le football professionnel est séduit par les GAFAM. La tentation du « modèle américain » resurgit et la logique de marché y conduit. L’élite sportive médiatique baigne dans un univers envahi par les réalités marchandes, accentué encore par les paris sportifs. Le tiers des Français suivant l’Euro de football ont l’intention de parier et le premier trimestre 2021 a vu une augmentation de 79% du montant par rapport à 2020. Dans ce monde « d’après » et sur le segment de la plus haute élite sportive, les fédérations sportives, bâties sur un autre modèle, non commercial mais devenu générateur de ressources XXL pour certaines d’entre elles, grâce à l’exploitation de compétitions toujours plus nombreuses et marketées, semblent vouées aux seconds rôles. Pourtant elles disposent d’un monopole sur leur discipline, doublement renforcé par les règles étatiques de certains pays et par la fédération internationale de leur discipline. Mais ces assauts, même contenus, du gotha du football professionnel européen révèlent une situation bien plus fragile pour l’avenir des fédérations. Sportifs licenciés exclus des équipes nationales ? Ce n’est qu’une question de rapport de forces, à voir la NBA et la « Dream Team » ou le partage entre l’Euroligue et la FIBA Europe. Le poids économique croissant du segment le plus médiatique, grâce au marché mondial et aux concentrations qui en découlent, a le pouvoir de renverser la table. Alors demain, encore plus, les fédérations devront rallier à leur cause les États. Mais pourquoi ces derniers devraient-ils encore sauver le modèle du « tout-fédéral », y compris sur le sommet de la pyramide ? La question se pose régulièrement. Les fédérations sont porteuses d’une mission d’intérêt général en faveur du plus grand nombre. Cela va avec une nature juridique associative « à but non lucratif » (non for profit organization) dans la plupart des pays pluralistes et démocratiques. La conséquence sur les droits de propriété est fondamentale. La propriété n’appartient ni aux dirigeants, ni aux membres mais à la personne morale « fédération ». Autre distinction, leur mission est à durée illimitée. Les dirigeants changent, la fédération et sa mission monopolistique de développement de sa discipline, continue. Faudrait-il encore que chacun en ait conscience. Mais laisser échapper son élite n’est pas sans risque. Les deux conséquences majeures en sont la captation de l’image et des revenus de la discipline et la perte de pouvoir sur la composition des équipes nationales.

 

Le contraste a priori semble grand avec le CIO. La renaissance des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) est une inspiration, une épopée, lyrique, romantique et pragmatique, aujourd’hui universellement reconnue. Alors le CIO est-il au-dessus de tout ça ? A y regarder de près, là aussi, le modèle est à la recherche d’un second souffle. Pourquoi ? Les JOP sont banalisés par les sports professionnels (tennis, football, cyclisme…), bousculés par l’émergence de nouveaux sports, contraints par les exigences environnementales, assombris et dégrisés par les problèmes de sécurité, concurrencés par les jeux en ligne, guettés par d’autres évènements multisports de grande audience y compris dans leur propre monde, comme les Jeux asiatiques ou panaméricains. Alors le CIO s’est adapté, s’est armé. Ce n’est plus un club fermé de dirigeants en apesanteur, habiles et détachés des contingences jusqu’à avoir laissé un CIO longtemps sans réalité juridique. Il a refondé un système universel, le mouvement olympique, bâti principalement sur quatre solides piliers que sont les fédérations internationales, les Comités Nationaux Olympiques, mais aussi les athlètes et le CIO lui-même. Son nouveau siège en fait foi : le CIO est devenu une entreprise performante de plus de 600 salariés et de services externalisés « de pointe ». Les contrats TV et sponsors battent des records ; pourtant les candidats à leur organisation se font rares. Là encore, la reconnaissance des Etats (ONU) est précieuse. Car l’Olympisme est le supplément d’âme du sport. Et demain, le sport en aura bien besoin.





Sport et citoyenneté