Un plan pour co-construire une société apprenante
Catherine Bizot, Guillaume Houzel, Gaëll Mainguy, Marie-Cécile Naves et François Taddei[1]
Le 4 avril 2018, François Taddei, directeur du Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI), a remis aux ministres français du Travail, de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation un rapport intitulé « Un plan pour co-construire une société apprenante ».
La démocratisation de l’éducation et de la connaissance doit être une priorité politique. En particulier parce que l’éducation, la formation tout au long de la vie, le développement professionnel et la construction des nouvelles compétences nécessaires aux métiers de demain, dont beaucoup sont encore inconnus de nous, sont indispensables au progrès économique et social et représentent un véritable enjeu de durabilité, de stabilité et donc d’égalité.
L’ONU, par exemple, définit 17 objectifs de développement durable, dont un consistant à « assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ».
Comme l’expliquent en effet les économistes Joseph Stiglitz (prix Nobel) et Bruce C. Greenwald dans leur ouvrage « Creating a Learning Society », l’évolution des technologies de la connaissance changent les manières d’apprendre et doit nous amener à transformer notre société. Pour eux, non seulement l’apprentissage fonde la croissance et le développement de longue durée, mais « une des avancées des économies modernes a été l’amélioration de leurs processus d’apprentissage, elles ont appris à apprendre ».
C’est pourquoi il est nécessaire de repenser et redessiner les moyens, les méthodes et les parcours de formation tout au long de la vie.
Face aux mutations du travail, faciliter les apprentissages de tous
Pour faire face à ces nouveaux défis et aux mutations très rapides de la société, induites notamment par le développement du digital, de l’automatisation et de l’intelligence artificielle (IA), nous devons tous avoir accès à des outils et procédures nous permettant d’apprendre à apprendre tout au long de notre carrière. Ni le diplôme de formation initiale, ni le CDI ne suffisent à garantir une sécurité de l’emploi.
Il faut non seulement éviter que les métiers les moins qualifiés disparaissent, mais aussi inventer les métiers de demain. Il en va de l’épanouissement professionnel, et non pas uniquement du profit économique. Et ce, d’autant que les prévisions en ce domaine ont toujours sous-estimé la vitesse et l’ampleur avec lesquelles les machines allaient transformer notre travail comme notre rapport au travail.
La mise en place de « labs des métiers de demain », ouverts à tous ceux qui souhaitent contribuer à les inventer, ainsi que les formations correspondantes, est une piste qui intéresse déjà plusieurs décideurs, comme le Commissaire européen à la recherche, à la science et à l’innovation (ndlr : le Portugais Carlos Moedas). Salariés, apprentis, demandeurs d’emploi, étudiants pourront venir s’y former par la recherche interdisciplinaire, l’expérimentation, le tâtonnement, le partage d’approches et l’échange de pratiques développées en France ou à l’étranger.
En France, le numérique et l’IA, en particulier, font peur. Mais cette peur ne freinera nullement leur expansion. Si l’IA ne fait l’objet d’aucune appropriation par les pouvoirs publics, c’est le marché non régulé qui, seul, en tirera profit, sans nécessairement se soucier des conséquences humaines, sociétales, environnementales. Au contraire, l’IA peut être un atout pour le développement professionnel et personnel.
La machine peut être utilisée pour soulager le salarié de tâches répétitives ou chronophages et lui permettre de se concentrer sur des activités plus gratifiantes ou de dégager du temps pour se former. Les compétences dites « sociales », « émotionnelles » et « soft » (littéralement « sensibles ») ne sont pas duplicables par des ordinateurs. Empathie, patience, plus globalement intelligence relationnelle, mais aussi capacité d’adaptation, d’initiative et d’organisation, motivation, intuition, sens artistique sont par exemple concernés. Comme le note le « rapport Villani », remis au premier ministre français en mars 2018, la principale « compétence matricielle dans un monde en perpétuelle évolution » est la créativité humaine.
Le besoin d’échanges humains devrait empêcher, dans une économie de services compétitive, de remplacer complètement plusieurs métiers par des machines. Pour le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, « sans acceptation sociale, tous les progrès technologiques ne seront pas saisis, même quand ils entraînent un gain par ailleurs ». Il donne l’exemple de l’arbitrage sportif, alors que le spectacle sportif, et footballistique en particulier, a beaucoup été décrit comme un lieu d’expression des émotions.
Promouvoir une société apprenante
Ces progrès ne peuvent se faire qu’au sein d’une société apprenante. Véritable révolution culturelle, celle-ci a précisément pour but de faciliter les apprentissages individuels et collectifs, de faire en sorte que les apprentissages des uns permettent à d’autres d’apprendre plus facilement. La confiance, l’ouverture, le partage et la coopération en sont des valeurs essentielles ; elles favorisent la mise en commun des expériences de chacun, pour faciliter le progrès de tous.
La société apprenante s’inspire des dispositifs vertueux qui ont déjà vu le jour partout dans le monde. Il existe en effet, aux niveaux national, régional, local, en France, en Europe et ailleurs, des milliers d’expériences et d’innovations qui développent recherche et co-recherche collaboratives, créent des incitations, des lieux et des temps pour ceux qui inventent, transmettent et reçoivent du savoir. Il est urgent de les faire connaître et de faire en sorte que toutes et tous puissent en bénéficier et y participer, pour ne laisser personne sur le bord du chemin.
Retrouvez l’intégralité de cet article sur le site www.theconversation.com
Retrouvez le « Plan pour co-construire une société apprenante » sur le site du CRI : cri-paris.org
[1] Cette contribution est extraite d’un article paru sur site www.theconversation.com le 28 mai 2018.