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Votre émotion est-elle numérisable ?

 

Thierry Seray, fondateur de l’agence Codezero

Comment situer l’émotion que l’on peut ressentir en pratiquant une activité sportive dans un environnement de plus en plus connecté ?

 

En 2006, Nike place un capteur dans les chaussures des runners, le raccorde à un iPod. Le sport devient numérique. Aujourd’hui, quelle que soit l’allure à laquelle nous courons, la technologie nous rattrape. Le futur du sport sera digital. Associés à votre smartphone, les capteurs de toutes sortes vous aident déjà à tirer des données de votre environnement. A l’avenir, chacun pourra quantifier, l’effort, l’intensité, le stress, la fatigue, la déshydratation, mais bientôt les taux de métabolites, d’électrolytes et bien plus encore. Après tout, nous sommes passés du coton au Goretex, du bois au carbone, du cuir à l’uréthane, de la boussole au GPS et on s’en porte plutôt bien. Mais le sport connecté, c’est aussi le sport mesuré, le sport normé, chiffré, la comparaison, la « performance » sous une forme ou une autre. Les capteurs et le smartphone nous ramèneront toujours au « monde ». Or nous faisons souvent du sport, notamment en outdoor, pour nous en extraire.

 

Pendant l’été 2015, Jean Marc Barr interprète Jack Kerouac. La génération « beat », déclare-t-il, avait entre 20 et 30 ans dans l’immédiat après-guerre, elle n’avait pas envie de suivre la tranquillité proposée par Eisenhower à l‘époque ; la maison, la famille… Ils étaient dans l’exploration intellectuelle. Ils cherchaient une fortune spirituelle, une liberté individuelle. Dans les années 1970, l’écho de ces changements sociétaux se propage dans le sport. La glisse et l’outdoor deviennent des alternatives aux propositions sportives traditionnelles. S’impose le désir de vivre le sport autrement, et non plus seulement au travers des pratiques compétitives. Exister et ressentir, au lieu de vaincre. Les pionniers posent les bases de ce qui va devenir une nouvelle culture sportive. Il s’agit de « rechercher » une expérience et non plus uniquement de « faire » du sport. La nature remplace les stades, une volonté d’intimité avec le monde et ses rythmes se substitue au chronomètre. Ce que nous allons tous chercher sur les parois, dans les combes, le long des sentiers ou au fil de l’eau vivre, ce sont avant tout des sensations, du temps pour penser et pour agir. Ces émotions, ces stimulus ne sont pas numérisables, au moins pour l’instant. Aucune application ne résumera ce qui se passe en vous.

 

Peut-on croire que notre immersion dans la nature sera la même quand nous aurons partout et tout le temps les outils pour mettre en chiffre et partager ce que nous aurons réalisé ? Ce que nous gagnerons en analyse, nous le perdrons en émotion. Ne restera-t-il que des chiffres ? Auront-ils eu raison du désir ? Notre temps de cerveau disponible pour la beauté, l’expérience, la réflexion et même l’introspection sera-t-il le même ? Peut-être que cette question ne se posera même pas pour la génération digitale native. Pour eux, la connexion sera aussi naturelle que l’air qu’ils respirent et elle ne fera qu’augmenter leur capacité à penser et n’affectera pas leur faculté de s’extraire du monde. Peut-être seront-ils capables d’être hors du monde malgré tout. La question reste entière cependant, et elle mérite d’y réfléchir au moment de préparer votre sac pour votre prochaine sortie.

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