Cet article est protégé par un mot de passe. Pour le lire, veuillez vous connecter.




Formule 1 : la lente progression des sujets sociaux et environnementaux

Par Jeanne Lehéricey, chargée de mission – Think tank Sport et Citoyenneté

Une voiture de formule 1 de l'écrurie Ferrari sur la piste

 

Le championnat du monde de Formule 1 a repris ses droits le 3 mars dernier, à l’occasion du Grand Prix de Bahreïn. Alors que la Formule 1 est plus populaire que jamais, battant des records de fréquentation et d’audience, il est intéressant de s’interroger sur son positionnement en matière de protection de l’environnement et de respect des droits et libertés fondamentaux.

Protection de l’environnement, des initiatives encourageantes mais largement insuffisantes

Lorsque l’on questionne l’impact environnemental de la Formule 1, le premier réflexe est de conclure à un désastre écologique. Vingt voitures super puissantes qui parcourent plusieurs centaines de kilomètres chaque week-end de Grand Prix, ça ne peut pas être bon pour l’environnement ! En réalité, les émissions de CO2 des monoplaces représentaient, en 2019, moins d’1% des 256 551 tonnes émises. Pourtant, c’est bien sur ce point que semblent se concentrer les efforts des parties prenantes, avec le passage à l’ère hybride en 2014 (en même temps que la création du championnat du monde de monoplace électrique, Formule E) et l’ambition du 100% carburant durable d’ici 2026.

C’est bien les aspects logistiques qui représentent, largement, le plus gros poste d’émission de CO2 de la Formule 1 (45%). Or, ce sujet ne paraît pas être au centre des discussions, quand bien même des solutions semblent évidentes, comme l’optimisation du calendrier suivant un déroulé géographique logique. Cette année encore, la Formule 1 effectuera de trop nombreux allers/retours entre les différentes régions du globe, ce qui alourdit inévitablement son bilan carbone. Au-delà du calendrier, on peut aussi légitimement s’interroger de la nécessité de construire de nouveaux circuits (comme à Miami, Djeddah, Las Vegas) alors que bon nombre de circuits existent déjà et ont la capacité d’accueillir des compétitions.

En 2019, Formula One[1] a annoncé son plan « NetZero 2030 », soit la neutralité carbone d’ici 2030. Pour y arriver, l’une des étapes, est de rendre durable l’organisation d’événements F1 d’ici 2025. Bien difficile à imaginer quand on pense à la marina du circuit de Miami…

Si on ne peut que regretter le manque d’implication des écuries, des promoteurs, des sponsors, des médias et douter de la réelle efficacité des mesures mises en place par Formula One ou la FIA[2], on peut néanmoins souligner quelques initiatives qui, à leur échelle, ont au moins le mérite de médiatiser la question de l’environnement en Formule 1.

Du côté des pilotes, Sebastian Vettel, a plusieurs fois pris publiquement position en faveur de la protection de l’environnement, un élément qui a d’ailleurs pesé au moment de sa prise de recul sur le circuit. Il s’est notamment engagé dans la protection des abeilles. Lewis Hamilton, septuple champion du monde, a quant à lui vendu son jet privé et a changé son régime alimentaire en devenant vegan. Du côté des écuries, on peut souligner l’utilisation par l’écurie Mercedes d’un carburant d’aviation durable. Plus symboliques que véritablement systématiques, ces résolutions ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan des défis environnementaux que la Formule 1 a à relever.

La Formule 1 face aux droits et libertés fondamentaux

L’organisation de la dernière Coupe du monde de football masculin au Qatar a suscité de nombreuses critiques et débats au regard de la question des droits et libertés fondamentales. La Formule 1, plus discrète, ne manque pas, elle non plus, de se développer dans des pays où sont perpétrées de graves atteintes et violations aux droits et libertés fondamentales (peine de mort ; droit des femmes ; droits des personnes LGBT+ ; liberté d’expression, de réunion, d’association; droits des détenus, etc.). Bahreïn, Arabie Saoudite, Hongrie, Qatar ou encore Emirats Arabes Unis accueillent chacun une étape du circuit mondial, alors que le Grand Prix de Chine n’a été annulée qu’en raison des restrictions sanitaires jugées trop contraignantes. Seule la Russie a vu la tenue de son Grand Prix annulée. Déclarer une guerre semble donc être la limite à ne pas franchir si on ne veut pas perdre son Grand Prix…

Rare sont les voix qui s’élèvent pour dénoncer les régimes autoritaires qui accueillent les Grands Prix de Formule 1. Lewis Hamilton déclarait en ouverture du Grand Prix de Bahreïn en 2020 que « la question des droits de l’Homme dans de nombreux endroits où nous allons est un problème constant et très grave », et ajoutait cette année que son « point de vue n’a pas toujours été partagé au sein du sport, qu’il s’agisse d’équipes ou de personnes occupant des postes de pouvoir ».

Et c’est peu dire quand on sait que, désormais, la FIA elle-même limite la liberté d’expression de ses pilotes. En effet, ces derniers ne peuvent plus exprimer leur opinion politique, religieuse et personnelle qu’après l’approbation écrite de la FIA. Pour beaucoup d’observateurs, cette nouvelle réglementation vient sanctionner les prises de paroles de Lewis Hamilton et Sebastian Vettel sur le mouvement « Black Lives Matter », les droits des femmes, les droits des personnes LGBT+ et la protection de l’environnement. Néanmoins, certains ne semblent pas voir de problème à cette atteinte directe à la liberté d’expression, à l’image de Christian Horner, Team principal de Red Bull, pour qui la Formule 1, comme tous les sports, demeure un divertissement qui n’a pas vocation à être politique. Mais qui croit encore aujourd’hui que le sport n’est pas politique ?

Un autre sujet sur lequel la Formule 1 va devoir s’exprimer concerne l’égalité, ou plutôt le manque cruel de diversité ethnique, sociale et de genre sur les paddocks. La Formule 1 et ses écuries se sont engagées sur ces sujets, à travers notamment des campagnes comme « We Race as One » ou des programmes d’éducation et de promotion de la diversité. Mais la cérémonie « We Race as One » a été supprimée, officiellement, pour mettre en place des actions concrètes. On peut aussi y voir la volonté de Formula One d’être plus discrète sur ces sujets…

La place des femmes en Formule 1 est symptomatique. On commencera par noter que bien que la Formule 1 soit, en théorie, un sport mixte, seules cinq femmes ont pris le départ d’un Grand Prix dans l’Histoire. Pourtant les filles font du karting, rêvent de F1 et ont les capacités physiques et mentales de prendre le départ, si on leur laissait une chance de faire. Le principal problème semble être d’ordre financier, avec la difficulté de trouver des sponsors suffisamment importants pour relever ce défi.

La FIA a tenté d’apporter une solution en 2019, avec la création de la W-series, championnat exclusivement féminin et à l’entrée gratuite (contre $10 400 minimum en F1). Et s’il peut être perçu, de l’extérieur, comme un championnat de F1 féminin, la réalité est tout autre. Les pilotes courent avec des châssis de F3. Sa championne ne remporte que 15 points pour la super licence (qui permet de courir en F1), contre 18 en Formula régionale, 30 en F3 et FE. De plus, en créant une compétition exclusivement féminine, la FIA enferme les femmes dans cette catégorie, réduisant leurs chances d’atteindre les catégories F3, F2 puis F1. Les difficultés financières sont telles que le championnat 2022 W-Series n’a pas été mené à son terme. Les perspectives de la triple championne du monde Jamie Chadwick semblent se restreindre à celui de pilote de développement, et il paraît peu probable de la voir un jour obtenir un baquet en Formule 1.

En novembre 2022, Formula One a annoncé lancer la F1 Academy, qui a pour but de former les jeunes pilotes féminines pour les autres catégories (F4/F3/F2) en espérant qu’elle puisse un jour piloter en F1. Susie Wolff, pilote et figure féminine majeure des sports monoplaces, a été nommé directrice générale. Sa nomination n’a pas manqué d’être l’occasion de commentaires misogynes, notamment en la reléguant au rôle de « femme de » (son mari, Toto Wolff, est un ancien pilote automobile, devenu homme d’affaires et dirigeant. Il est notamment actionnaire de Mercedes-Benz Grand Prix Ltd).

Autres figures importantes des paddocks, les Team Principals et les équipes techniques. Dans ces rôles aussi, les femmes sont trop peu nombreuses, malgré les efforts effectués ces dernières années. On peut tout de même citer Claire Williams, qui a été Team Principal de l’écurie familiale britannique, Hannah Schmitz, stratège de Red Bull ou encore Angela Cullen, physiothérapeute de Lewis Hamilton.

On s’aperçoit donc du véritable effort à fournir de la part de Formula One, de la FIA, des écuries et de tous les acteurs impliqués pour féminiser le sport automobile. D’autant plus qu’il n’y a pas si longtemps, les femmes les plus visibles dans le paddock étaient les grid and pit girls. Un piteux symbole fort heureusement disparu depuis 2018.

Enfin, n’oublions pas que la médiatisation du sport est très importante, et que, là encore, le sexisme sévit. Citons l’exemple de Naomi Schiff, ancienne pilote et ambassadrice des W-series, qui a été la cible d’insultes sexistes après son analyse du Grand Prix d’Azerbaïdjan sur les antennes de Sky News.

La piste est donc encore longue pour que la F1 devienne un sport réellement durable, inclusif et respectueux des droits et libertés fondamentales. Face à une popularité croissante, le public va-t-il lui aussi se saisir de ces sujets pour faire en sorte que la Formule 1 devienne sur ces sujets aussi, maîtresse de son destin ?[3]

 

[1] Formula One ou FOM est la société commerciale qui gère les droits de la Formule 1.

[2] FIA : Fédération Internationale de l’Automobile : organisateur et régulateur de la Formule 1

[3] Sources : https://corp.formula1.com/wp-content/uploads/2019/11/Environmental-sustainability-Corp-website-vFINAL.pdf

https://www.theguardian.com/sport/2020/nov/26/f1-has-massive-problem-to-address-over-human-rights-says-lewis-hamilton


Pour aller plus loin

Notre revue 36 Sport et Droits de l’homme

Grands événements: concilier impacts économiques, sociaux et environnementaux, article de Cyrielle Sénéchal-Chevallier, membre du comité scientifique de Sport et Citoyenneté

La « vallée du sport » italienne combine relations avec les médias et mise en œuvre de politiques concrètes, par Rosarita Cuccoli, PhD, Professeur de sociologie du sport, Université de Vérone, Membre du Comité scientifique de Sport et Citoyenneté, référente « médias »

 



Sport et citoyenneté