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Le sport français à la recherche de l’éthique

Par Simon Laville, Chargé de mission, Think tank Sport et Citoyenneté

 

Absence de prise de position vis-à-vis des droits humains au Qatar, violences sexistes et sexuelles, soupçons de corruption, conflits internes, recrudescence des violences liées au supportérisme, gouvernances complexes sont autant de faits reprochés au sport français et qui ternissent son image. La liste n’est pas limitative mais s’applique à l’ensemble de l’écosystème et instaure une crise de confiance dans l’opinion publique. Alors même qu’en mai 2022, l’Assemblée générale du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) a adopté à l’unanimité la nouvelle Charte d’éthique et de déontologie, dont nous avons analysé le contenu récemment, ces nombreux scandales questionnent le respect et la pertinence d’une telle charte, dont le sport français, par le biais de ses différents acteurs, ne semblent pas toujours se soucier.

 

Sports cups

 

Patrick Mignon, sociologue et membre du Comité Scientifique de Sport et Citoyenneté, renvoie la notion d’éthique à l’existence « de valeurs humaines générales et l’idéal d’une adéquation entre vertus de l’individu et valeurs d’une société »[1]. Chaque individu est confronté dans ses fonctions ou actions à une nécessaire démarche éthique. Pour autant, les valeurs d’universalité, d’altruisme et de méritocratie de la performance souvent associées au sport, lui apporte une dimension autre, une responsabilité et une exemplarité autres. Ainsi, les acteurs du sport doivent composer avec « un esprit sportif qui repose sur l’honnêteté, la solidarité et le respect des règles, et qui valorise l’engagement dans le respect de sa propre personne et de celle d’autrui » (Article 4 de la charte d’éthique et de de déontologie du sport français). Les organisations sportives (les fédérations sportives et organismes déconcentrés, les ligues professionnelles, les comités olympiques et paralympiques, les clubs et autres structures sportives) doivent, quant à elles, faire preuve d’exemplarité en tant que « garantes du respect et de la transmission de l’esprit et des valeurs du sport » (Article 13 de la charte d’éthique et de déontologie du sport français).

Des initiatives de bonne gouvernance en matière d’éthique encore minoritaires en France

La connaissance de cette éthique sportive suppose donc d’intérioriser un apprentissage. Un travail pédagogique et éducatif doit être engagé à plusieurs niveaux et regrouper différents acteurs à l’intérieur du mouvement sportif et en dehors. Le club de football de Lyon-La Duchère l’illustre parfaitement en souhaitant allier performance sportive et exigence socio-éducative. Depuis presque 15 ans, ce dernier agit à l’échelle local en faisant preuve d’un fort volontarisme en termes d’engagement sociétal. Avec son pôle de Prevention, d’Écoute et de Médiation, il agit en faveur de la prévention des violences sexistes et sexuelles, un sujet insuffisamment pris en considération en France. De plus, le développement de projets d’accompagnement autour de l’emploi et plus récemment la mise en place d’un conseil d’Élus des Enfants au sein du club, font de cette structure, un réel pivot pour l’insertion, l’emploi et la citoyenneté.

Il semblerait cependant que les initiatives de bonne gouvernance en matière d’éthique soient minoritaires. Et cela malgré les différentes lois en France qui témoignent pourtant d’une volonté d’agir pour contrôler l’éthique dans le sport. En effet, la loi du 1er mars 2017 rend obligatoire l’établissement d’une charte éthique et de déontologie par les fédérations sportives délégataires et de comités chargés de veiller à leur application. Ces comités sont chargés notamment de veiller à la transparence financière des dirigeants et de renforcer la lutte contre les discriminations. Plus récemment, la loi du 2 mars 2022 qui vise à démocratiser le sport en France, agit sur la gouvernance des fédérations sportives, en imposant une parité progressive intégrale dans les instances dirigeantes, et en renforçant les obligations en matière de transparence. Deux éléments centraux de la réflexion éthique. Dès lors les scandales successifs reprochés au mouvement sportif et l’insuffisance des dispositions de contrôle en place, interrogent alors l’autonomie de fonctionnement quasi-totale offerte aux organisations sportives ces dernières années.

Les contours d’un nouveau cadre éthique international

Le Conseil de l’Europe défend la nécessité d’accepter la présence de nouveaux acteurs et ne pas laisser le mouvement sportif remédier seul à ces défaillances. Selon lui, l’action au niveau national ne suffit pas à elle seule, et doit être placée dans un contexte international qu’il convient de garder à l’esprit lorsque l’on analyse les politiques fédérales en la matière. Le programme Erasmus +, soutient divers projets, tel que le projet SportBoard (auquel  Sport et Citoyenneté participe en soutien d’autres acteurs), qui souhaite assurer le suivi et la gestion du comportement éthique des jeunes athlètes européens par la création d’une application de contrôle. Au niveau international, l’Agence Mondiale Antidopage aide à harmoniser la législation, les directives, les règlements et les règles antidopage au niveau international afin de garantir à tous les athlètes un environnement juste et équitable. Le Conseil de l’Europe souhaite aller plus loin et préconise la création d’une norme de certification ISO (organisation internationale de normalisation) sur la bonne gouvernance des organisations sportives. Le postulat initial étant que les critères communs de bonne gouvernance devraient pouvoir s’appliquer à tous, des petits clubs aux organisations internationales. L’avantage d’une norme de certification ISO réside dans sa légitimité et son universalité. Aussi pour impulser un changement rapide et radical, le monde du sport est invité à mettre en place un système indépendant de notation de l’éthique dans le sport. La question du contrôle de l’application des règles éthiques se pose alors, avec l’enjeu de savoir à qui il incombe de l’exercer. Le Conseil de l’Europe soutient au niveau international la création d’un système professionnel et indépendant pour assurer cette notation sportive.

 

Ainsi, des solutions concrètes et des pistes de réflexions existent. Et alors que la France s’apprête à accueillir successivement plusieurs grands évènements sportifs internationaux, il est urgent de s’interroger et d’agir afin de remettre l’éthique et les valeurs qui l’entourent au centre des débats. Cela est d’autant plus vrai pour le sport qui, dans l’imaginaire collectif, véhicule souvent l’image d’une société́ idéale, ce qui explique le rôle et la responsabilité qui lui sont assignée pour contrebalancer les maux de la société. Il est clair qu’il ne peut pas, à lui seul, résoudre tous ces maux. Mais il peut néanmoins, par une ligne d’action plus éthique, agir sur ces derniers et, par ses vertus spécifiques, remplir sa mission préventive et réparatrice.

 


[1] « Prévenir les dérives dans le sport », Dossier du ministère des Sports, 2018, disponible sur www.sports.gouv.fr



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